Une justice qui ne donne pas raison à LinkedIn
En 2017, LinkedIn avait envoyé une mise en demeure à l’entreprise américaine hiQ Labs pour qu’elle cesse de scraper les données des profils publics qu’elle utilisait ensuite dans son produit. HiQ Labs l’avait alors attaquée et la justice avait décidé que l’entreprise était en droit de continuer à collecter des données depuis LinkedIn. En 2019, LinkedIn avait fait appel et la cour avait alors rejeté une nouvelle fois les arguments de LinkedIn. Le différend est aujourd’hui toujours en cours.
Plus récemment, Neodeal, une startup française qui développe un logiciel pour prospecter efficacement sur LinkedIn a aussi fait la connaissance des services juridiques du géant américain. En janvier 2020, alors que la startup existait depuis déjà plusieurs années, LinkedIn a demandé à Neodeal d’arrêter son activité au motif qu’il pratiquait la « mass automation ».
Le différend n’est pas encore résolu et les créateurs de la startup française tentent toujours de trouver un accord avec LinkedIn. Mais les avocats de la startup française sont formels : LinkedIn ne dispose pas d’un droit de propriété intellectuelle sur sa base de données du point de vue du droit européen et aurait peu de chances gagner lors d’un éventuel procès.
Une intégration de LinkedIn dans certaines plateformes de veille ?
D’autre part, on commence à voir les prémices d’une intégration de LinkedIn dans les outils et plateformes de veille.
Cet été, Brandwatch a intégré des LinkedIn channels. Il ne s’agit pas ici de veille à proprement parler mais de la possibilité de « suivre les performances de toutes ses pages LinkedIn en un seul endroit et optimiser sa stratégie de contenu pour construire une présence plus forte et impactante auprès de la communauté professionnelle globale » et d’identifier des ambassadeurs et influenceurs sur LinkedIn.
Plus récemment, une twittos a identifié sur le site de Digimind un document récent (décembre 2020), que nous avons consulté, parlant d’une fonctionnalité « LinkedIn Keyword Monitoring » permettant de « surveiller tous les messages publics sur un sujet d’intérêt, y compris les mots-clés dans les posts, les hashtags et les liens hypertextes, dans différentes langues » dans la plateforme Digimind Intelligence.
Digimind n’a pour le moment pas réagi à ce tweet et n’a pas confirmé l’existence de cette fonctionnalité. Affaire à suivre...
Et lors de la rédaction de notre article « Les plateformes de veille internationales peuvent-elles intéresser les veilleurs francophones ? » en juillet 2020, notre interlocuteur pour la plateforme InfoNgen nous avait indiqué que leur plateforme était tout à fait en mesure de surveiller LinkedIn sans souhaiter rentrer plus dans les détails.
Il est difficile de savoir si c’est LinkedIn qui commence à autoriser l’intégration de ses données dans les plateformes de veille ou de social media monitoring ou bien si ce sont ces mêmes plateformes qui prennent le risque d’intégrer le réseau social à leurs outils sans demander l’avis de LinkedIn.
Mais toujours est-il que pour la veille sur LinkedIn, l’avenir semble plus radieux qu’il ne l‘a été au cours des dernières années et on ne peut que s’en féliciter.
Faire de la veille dans l’interface de LinkedIn : mission impossible ?
Face à la politique restrictive de LinkedIn, il n’y avait jusqu’à présent pas d’autre choix que de passer par l’interface de LinkedIn pour réaliser sa veille. Mais là encore c’est un peu compliqué...
Les fonctionnalités de veille sont peu nombreuses.
Tout d’abord, la plateforme de LinkedIn ne propose que très peu de fonctionnalités de veille à proprement parler : pas de flux RSS, tout au plus quelques fonctionnalités d’alertes mails et de suivi au sein de la plateforme.
Sur l’interface de Linkedin.com
On peut suivre des hashtags, en recherchant un hashtag ou en cliquant sur un hashtag puis en choisissant le bouton « Suivre ».
Seul problème : il faut ensuite aller consulter les nouveaux résultats au sein de LinkedIn en choisissant un classement par pertinence ou par date dans la rubrique « Hashtags suivis ». Et il est impossible de recevoir une alerte par mail ou par RSS.
On peut s’abonner par email aux nouveaux contenus publiés dans les groupes où l’on est membre. Mais malgré cette option, on se rend compte à l’usage que LinkedIn n’envoie pas toujours les alertes...
Il est enfin possible de se créer des alertes sur les offres d’emploi.
Mais c’est à peu à près tout...
Sur LinkedIn Recruiter et Sales Navigator
On accède à quelques autres fonctionnalités de « veille » supplémentaires mais cela reste tout de même léger :
- possibilité d’enregistrer des requêtes à relancer plus tard ;
- alertes sur les changements de poste ;
- alertes sur l’actualité des prospects et des entreprises.
Utiliser son flux d’information pour faire de la veille : une fausse bonne idée ?
Face à la quasi-absence de fonctionnalités de veille, on pourrait être tenté de réaliser sa veille en tirant parti de son fil d’actualité :
- en ajoutant parmi ses contacts des profils en lien avec sa thématique de veille ;
- en s’abonnant à des groupes spécialisés ;
- en suivant des pages entreprises en lien avec le sujet, etc.
Il suffirait ensuite en principe de scroller régulièrement le flux d’information de son compte pour repérer des informations pertinentes avec sa thématique de veille.
Malheureusement on se heurte vite à différents problèmes. Et pour le comprendre, il faut tout d’abord analyser l’algorithme de pertinence du fil d’actualité de LinkedIn, ce qui va permettre de comprendre que ce qui apparaît dans le flux n’est pas forcément ce qu’il y a de plus pertinent pour la veille.
Un algorithme de pertinence peu adapté pour la veille
Nous avons lu un grand nombre d’articles s’étant penché sur l’algorithme de LinkedIn ainsi que la communication de LinkedIn lui-même sur le sujet. Même s’il existe certaines divergences, tous s’accordent à dire que pour concevoir le fil d’actualités de chaque internaute, LinkedIn privilégierait les éléments suivants :
- les membres de son réseau direct. Pour déterminer quels membres de notre réseau il mettra en avant, LinkedIn priorise les personnes avec lesquelles on a déjà interagi par message, en likant ou commentant leurs contenus, partage.
- la pertinence des posts par rapport à ses centres d’intérêt. LinkedIn regardera les groupes auxquels l’internaute appartient, les hashtags qu’il suit, les pages qu’ils suivent pour déterminer quels thèmes l’intéressent le plus et mettre en avant ce type de posts.
- l’engagement. LinkedIn va aussi mettre en avant les posts qui génèrent rapidement de l’engagement, c’est-à-dire qui sont rapidement likés, commentés ou encore partagés.
D’autres experts de LinkedIn indiquent également :
- que les posts contenant des images sont davantage mis en avant que les autres ;
- que les messages avec des liens externes sont pénalisés car LinkedIn essaye au maximum d’inciter les gens à rester au sein de sa plateforme ;
- que les posts où sont tagués de nombreuses personnes sont considérés par LinkedIn comme des spams et apparaissent donc rarement dans le fil d’actualité
- qu’il ne faut pas mettre trop de hashtags dans un post au risque d’être pénalisé
- qu’un temps minimum d’interaction est défini en-deçà duquel un post ne vaut pas la peine d’être affiché par l’algorithme. Ainsi, si personne n’a liké un post au cours des premières heures de sa parution, il n’apparaîtra pas dans le fil d’autres utilisateurs.
Quand un utilisateur se connecte à LinkedIn, il y a des milliers, voire des dizaines de milliers de posts qui pourraient s’afficher dans son flux d’actualité mais LinkedIn n’en affiche qu’une infime partie en mettant en avant les meilleurs candidats selon les règles de son algorithme.
Les dérives du système : attention au «faux engagement» !
Pour apparaître à tout prix dans le flux d’information de LinkedIn, certains n’hésitent pas à recourir à des pratiques plus ou moins limites.
Les PODS : On pourra citer tout d’abord les «pods», des sortes de groupes de discussion/micro communautés où les membres s’engagent à se « liker » les uns les autres et à générer de l’engagement sur les posts de leurs membres (commentaires, etc.).
LES POSTS MULTIPLES : Il y a ensuite ces posts, trop nombreux, où sous prétexte d’interagir ou de poser des questions à ses contacts, des internautes ne cherchent qu’à générer des likes de manière complètement artificielle pour être visible sur la plateforme. On pensera par exemple à ces posts complètement insipides où l’internaute réalise une sorte de sondage en demandant à son réseau quel est leur niveau d’étude (et il faut liker si on a un bac+1, cliquez sur j’aime pour un bac +2, cliquez sur bravo pour un bac+3, etc. »), le nombre de jours de télétravail qui leur convient le mieux (1jour/semaine = 1 like, 2 jours/semaine = 1 clap, 3jours = un cœur, etc.).
Dans un contexte de veille, cela montre surtout que l’utilisateur ne verra qu’une infime partie du contenu susceptible de l’intéresser, d’autant que les contenus les plus pertinents pour lui ne sont pas nécessairement ceux qui génèrent le plus d’engagement.
En outre, le fil d’information change complètement à chaque fois qu’on le rafraîchit (même à quelques minutes d’intervalle). Il n’est pas le même non plus si on se connecte au même moment en desktop ou via l’application mobile.
TEST 1 : Nous avons fait le test en consultant exactement au même moment notre compte LinkedIn en version desktop et notre compte LinkedIn depuis l’application mobile et le résultat est édifiant : sur les dix premiers résultats, il n’y avait aucun résultat en commun.
Faire de la veille depuis LinkedIn via son flux d’actualité manquera donc complètement de fiabilité et de logique.
Enfin, on note aussi un décalage entre le discours officiel sur l’algorithme et la réalité.
Dans notre cas, malgré des contacts essentiellement issus du monde de l’information et de la veille, des hashtags en lien avec ces mêmes thématiques, des groupes sur ces sujets, des interactions uniquement avec des posts liés à la veille, LinkedIn nous propose beaucoup de contenus qui n’ont rien à voir avec le sujet même s’ils proviennent de personnes issues du monde de l’information ...
Alors que nous étions en train de boucler ce numéro, LinkedIn a publié un billet sur son blog (https://blog.linkedin.com/2021/february/guide-features-to-help-you-control-your-feed-and-conversations) indiquant que les internautes pouvaient entraîner. l’algorithme de LinkedIn pour le rendre plus pertinent. Pour cela, il faut notamment cliquer sur tous les posts jugés peu intéressants et en choisissant l’option « je ne veux pas voir cela » et en indiquant la raison (ce sujet ne m’intéresse pas, j’ai vu trop de posts sur ce sujet, sur cet auteur, etc.).
TEST 2 : Nous l’avons fait pour quelques dizaines de posts mais l’amélioration n’est pas flagrante. Il faudrait sûrement y consacrer un temps conséquent et le faire régulièrement pour visualiser la moindre amélioration. Et encore, cela ne fonctionnera pas de manière satisfaisante pour les personnes qui s’intéressent simultanément à des sujets très divers dans le cadre de leurs veilles.
Il aurait mieux valu que LinkedIn nous demande d’indiquer ce qui nous intéresse vraiment plutôt que ce qui ne nous intéresse pas.
Utiliser un classement par date dans le fil d’actualités : pas idéal non plus
Comme l’algorithme de pertinence du flux d’actualités est peu adapté pour la veille, on pourrait être tenté d’utiliser le classement par date proposé par LinkedIn (mais qui n’existe que sur desktop et pas sur mobile) pour visualiser l’ensemble des posts et contenus publiés par notre réseau sans la sélection imprévisible de LinkedIn.
Sur le papier, cela convient mieux à une pratique de veille. Sur le papier seulement...
Tout d’abord, LinkedIn ne conserve pas ce paramètre et il faut le rechanger à chaque fois que l’on revient sur la plateforme, ce qui est très contraignant.
D’autre part, on ne peut pas vraiment choisir quels contenus on souhaite voir dans son flux d’actualité et surtout en provenance de quels contacts. On peut certes entraîner l’algorithme en lui indiquant ce qui ne nous intéresse pas mais comme les professionnels de l’information travaillent rarement sur un seul et même sujet, cela suppose d’être en contact avec des personnes ayant des profils très différents. Le flux d’actualités ressemble alors vite à une sorte de mélange indigeste et inexploitable tant la quantité de contenus publiés chaque jour est importante.
Là encore, on pourrait être tenté de se créer plusieurs profils sur LinkedIn en fonction de ses différents centres d’intérêts mais LinkedIn est de plus en plus attentif aux faux profils et n’hésite pas à faire régulièrement le ménage.
Au final, même si LinkedIn est aujourd’hui riche en données et contenus, il reste difficile de faire de la veille sur le réseau social. Espérons que l’avenir de la veille sur LinkedIn sera un peu plus radieux.