Interview de Louise Guerre, Co-Présidente du Groupe Serda-Archimag. Interview menée par Christel Ronsin
Nous avons souhaité interroger Louise Guerre afin de recueillir son témoignage sur la mise en place et l’utilisation de l’intelligence artificielle générative au sein d’une société spécialisée dans le management de l’information.
Louise Guerre est, avec Pierre Fuseau, dirigeante du groupe Serda-Archimag depuis sa création en 1985. Elle est également responsable mécénat et laboratoire des curiosités de l’association Étincelle, qui accompagne les jeunes décrocheurs. Avant cette date, Louise Guerre a présidé durant deux ans le Centre des Jeunes Dirigeants d’Entreprise (CJD), qui est le plus ancien mouvement patronal. Elle a également passé cinq ans au conseil d’administration d’Action contre la Faim.
CHRISTEL RONSIN : Louise, pouvez-vous nous expliquer comment l’intelligence artificielle générative (IAG) a été intégrée au sein du groupe Serda-Archimag ?
LOUISE GUERRE : Bien que l’Intelligence artificielle ait une histoire de plus de 50 ans, c’est avec l’arrivée des IAG en 2023 que nous avons observé un nouvel engouement pour cette technologie. J’ai alors immédiatement lancé un groupe de travail sur l'intelligence artificielle générative pour examiner son impact potentiel sur nos activités. En novembre 2023, ce groupe a réuni la rédactrice en chef d’ Archimag , Clémence Jost, un représentant de notre agence de communication éditoriale, ACE, un représentant de Serda Conseil et enfin un représentant de Serda Compétences. Ainsi tous les métiers étaient représentés. Comme nous le faisons habituellement, nous avons élaboré une note de cadrage, un PQP (Plan Qualité de Projet), et défini des livrables.
Nous avons rapidement identifié les opportunités fantastiques que les IAG pouvaient offrir, tout en mettant en lumière les craintes qu’elles pouvaient susciter parmi les professionnels de l’information, qui sont nos clients, ainsi que dans la société plus largement. Nous avons également évalué l’impact potentiel sur les divers métiers présents dans notre entreprise : les formateurs, les consultants, les journalistes, les rédacteurs, les commerciaux et le marketing.
Pour mieux comprendre ces enjeux, nous avons jugé essentiel de nous former. La formation est le meilleur moyen d’affiner nos craintes, d’y remédier si possible, et d’identifier les opportunités. Nous avons donc mis en place un vaste programme, adapté à chaque métier. Il est essentiel que le formateur soit un spécialiste du domaine, sinon la formation perd de sa pertinence.
CR : Pouvez-vous détailler ce plan de formation à l’intelligence artificielle générative, mis en place pour les collaborateurs de Serda-Archimag ?
LG : Chaque collaborateur a bénéficié d’une journée de formation à l’IAG, adaptée à son métier. Ainsi, il y a eu une journée dédiée aux consultants, une autre pour notre activité de formation, une pour les commerciaux, une pour le marketing, et enfin une dédiée aux journalistes. Chacun a pu explorer le potentiel de l’IA dans son domaine spécifique, ainsi que les limites de son utilisation.
Au sein de l’équipe, les journalistes ont été les plus réticents à l’idée d’utiliser l'IAG. J'ai dû les convaincre en expliquant que cet outil ne remplacerait pas leur travail, mais pourrait les assister dans certaines tâches. Par exemple, pour un sujet traité plusieurs fois, l’IAG pourrait aider à trouver de nouveaux angles. Ou encore, pour synthétiser des rapports volumineux, elle pourrait fournir un résumé ciblé sur des sujets spécifiques, ce qui est particulièrement utile pour une rédaction de notre taille (7 journalistes). Enfin, l’intelligence artificielle générative peut également être utilisée pour des tâches de secrétariat de rédaction, comme la reformulation de phrases. Globalement, nous considérons l’IA comme un assistant et non comme un remplaçant de l’humain. Mon mot d’ordre a été : on réfléchit et on pense par soi-même, et ensuite on utilise les assistants utiles, et surtout pas l’inverse.
Les journalistes ont souhaité dès le départ adopter une charte stipulant que tout contenu généré par l’intelligence artificielle, qu’il s’agisse d’articles ou d’images, serait clairement identifié comme tel. Bien qu’ils aient accepté d’explorer certaines utilisations, ils restent opposés à l’idée que l’IAG puisse écrire des articles à leur place, même pour des brèves ou des actualités.
CR : Quelles sont les considérations éthiques par rapport à l’utilisation de l’IA pour la production journalistique ?
LG : Notre utilisation des IAG nécessite une réflexion approfondie sur les garde-fous éthiques. Dès la fin 2023, nous avons examiné une charte élaborée par Reporters sans Frontières (Cf. Figure 1), issue des travaux d’une commission internationale, qui propose dix principes éthiques. À la rédaction d’Archimag, nous avons décidé d’adopter ces principes pour guider notre utilisation de l’intelligence artificielle générative.
Nous avons également discuté de la manière de garantir la transparence. Clémence Jost a donc rédigé un éditorial affirmant que si jamais un article était écrit par une IA, ce serait explicitement signalé aux lecteurs. Néanmoins ce n’est pas du tout dans nos projets.
Nous avons aussi toujours pour principe d’évaluer et valider les suggestions proposées et de vérifier les sources suggérées par des outils comme Perplexity par exemple.
En ce qui concerne le droit d’auteur, cette question ne se pose pas pour nous puisque nos journalistes n’utilisent pas l’IAG pour produire du contenu.
CR : À la suite du plan de formation, comment vos collaborateurs ont-ils intégré l’intelligence artificielle générative dans leur travail quotidien ?
LG : La formation a eu un impact considérable sur nos collaborateurs, qui sont des professionnels curieux. Ils ont réalisé que l’IA pouvait accomplir bien plus de tâches qu’ils ne l’avaient initialement envisagé. Cela leur a permis de l’adopter comme un assistant efficace dans leur travail quotidien et de bénéficier d’un cadre clair pour décider quand et comment l’utiliser.