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L’intelligence économique commence par une veille intelligente

Quand l’IA réinvente les réseaux sociaux : décryptage d’une mutation

Netsources no
176
publié en
2025.06
127
Quand l’IA réinvente les réseaux sociaux : décryptage d’une ... Image 1
Quand l’IA réinvente les réseaux sociaux : décryptage d’une ... Image 1

L’intégration de l’intelligence artificielle dans les réseaux sociaux est une tendance de fond, entamée au début des années 2010 et qui connaît une accélération marquée depuis l’émergence de l’IA générative en fin 2022. Cette évolution redéfinit l’utilité de ces plateformes, leur modèle économique et la nature même des interactions qu’elles hébergent.

Nous explorerons comment l’IA est passée d’un outil d’optimisation fonctionnant en arrière-plan à un rôle de plus en plus central dans nos échanges. Ce changement soulève une question essentielle : à mesure que l’IA prend plus de place, que reste-t-il de « social » dans les médias sociaux et comment cela impacte-t-il nos interactions en ligne ?

I. L’IA en coulisses : l’optimisation comme premier moteur

Pendant plus d’une décennie, l’intelligence artificielle a été le moteur discret, mais essentiel, des réseaux sociaux. Son déploiement à grande échelle répondait à un objectif principal : capter l’attention de l’utilisateur pour maximiser la durée des sessions et, par conséquent, les revenus publicitaires.

La fin du fil d’actualité chronologique

Cette stratégie reposait sur la personnalisation des contenus . Dès 2009, Facebook expérimentait déjà un nouvel algorithme (nommé EdgeRank ) pour remplacer le fil d’actualité chronologique (1). C’est entre 2012 et 2016 que cette tendance se généralise. Durant cette période, la plupart des plateformes de réseaux sociaux abandonnent progressivement le fil chronologique au profit du fil algorithmique . L’objectif n’étant alors plus de montrer ce qui venait d’être publié, mais ce qui était le plus susceptible de provoquer une réaction . Twitter remplace ainsi son fil d’actualité par le flux « Home timeline » en 2016 (2), et TikTok, lancé une année plus tard, érige cette approche en modèle avec sa « For You Page » (3). Aujourd’hui, cette méthode est devenue la norme et les algorithmes n’ont fait que s’améliorer d’année en année. Meta annonçait d’ailleurs en 2023 que ses algorithmes de recommandation étaient responsables d’une hausse de 24 % du temps passé sur Instagram , notamment grâce à la suggestion de contenus issus de comptes non suivis par les utilisateurs (4).

Modération automatisée et prolifération des bots

En parallèle, l’IA servait une autre mission essentielle : la modération des contenus . Face à des millions de publications quotidiennes, l’automatisation s’imposait comme une nécessité opérationnelle pour filtrer les contenus illicites. Des plateformes comme Facebook ont ainsi développé des algorithmes capables de détecter en amont plus de 95 % des contenus haineux (5). Cette tendance se poursuit, Meta prévoyant même, selon un rapport de NPR, de remplacer par l’IA ses modérateurs humains (6).

Alors même que les plateformes intégraient massivement l’IA, elles faisaient déjà face à une prolifération des « bots » . Ces faux comptes pilotés par des intelligences artificielles et conçus pour se faire passer pour des utilisateurs humains étaient de plus en plus utilisés pour de la propagande ou de la manipulation et s’immisçaient dans les conversations pour en influencer le cours.

Que ce soit par l’exposition à ces fils d’actualité façonnés par des algorithmes ou par nos interactions entremêlées avec celles de bots, nous avons été progressivement habitués à une expérience en ligne où l’IA était omniprésente , bien qu’invisible. Cela a, en quelque sorte, préparé le terrain pour l’étape suivante, celle où l’IA ne se contente plus de jouer le second rôle, mais participe ouvertement aux interactions.

II. Quand l’IA brouille les frontières : l’arrivée des interactions hybrides

Début 2023, la démocratisation des grands modèles de langage (LLM) comme GPT-4 ouvre un nouveau chapitre. Après le phénomène ChatGPT, ces modèles d’IA sont très rapidement intégrés directement aux plateformes tout d’abord sous forme d’ assistants IA .

Des assistants aux participants actifs : l’impact sur la veille

Snapchat annonce en février 2023 « My AI », son assistant basé sur ChatGPT (7). En septembre 2023, Meta introduit « Meta AI », accessible dans Messenger, WhatsApp et Instagram (8). A noter qu’en France ce lancement a été retardé à mars 2025 en raison des exigences réglementaires. Ces assistants sont particulièrement utiles, car intégrés directement dans nos applications du quotidien, et alimentés par un contexte spécifique à chaque plateforme. Ce ne sont toutefois guère plus que des équivalents de chabots privés (basés sur le LLM de Meta, Llama) intégrés à votre compte.

Début 2025, une nouvelle étape est franchie avec l’arrivée de l’IA directement dans les espaces de discussion publics . Sur X (ex-Twitter), les utilisateurs peuvent désormais mentionner directement @Grok (l’IA développée par xAI, société sœur du réseau social) pour obtenir une synthèse ou une explication du fil de discussion (9). De même, depuis février 2025, il était possible de mentionner @AskPerplexity (le chatbot de la société Perplexity AI) pour obtenir des réponses contextualisées.

Avec ces nouveautés, l’IA devient un acteur à part entière du débat public. Pour les activités de veille, c’est une rupture : la cohabitation entre humains et IA complexifie la collecte et l’évaluation de l’information sur ces plateformes. Entre les bots se faisant passer pour des utilisateurs humains, les comptes ouvertement IA dont le prompt ( et donc le biais ) n’est pas connu, et même les utilisateurs humains qui utilisent l’IA pour rédiger en partie ou en totalité leurs messages, comment distinguer le signal du bruit ? Comment dénicher les communications authentiques ? Est-ce justement l’un des nouveaux rôles du veilleur ?

Anthropomorphisation de l’IA : des assistants aux compagnons ?

Au-delà de ces initiatives, on peut y voir une ambition plus stratégique : alors que certaines plateformes voient leur base d’utilisateurs stagner ou être délaissée par les nouvelles générations, l’ajout d’IA pourrait être vu comme un moyen de combler ce vide et de dynamiser artificiellement les interactions. Pour favoriser leur acceptation, elles travaillent à les anthropomorphiser. Meta a ainsi annoncé ses AI Characters en septembre 2023, 28 personas IA (incarnés par des célébrités comme Snoop Dogg (10)) conçues pour interagir par messages avec les utilisateurs. En leur donnant une personnalité, Meta encourage ainsi une forme de relation qui brouille les frontières entre humain et IA et remet en question le fondement même de ces plateformes. Ces personas IA ont depuis été retirées de Facebook et Instagram suite à des réactions mitigées du public. L’ambition, clairement affichée par Mark Zuckerberg, est celle d’IA qui deviennent des « amis et compagnons » au quotidien (11), ce qui soulève la question : un réseau peut-il encore être qualifié de « social » si une part croissante des interactions se fait avec des intelligences artificielles ?

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