Figure 1. Interface de Kagi Search
Qui se cache derrière Kagi Search ?
L’équipe derrière Kagi Search se veut plutôt discrète. Il y a surtout un homme, Vladimir Prelovac, un entrepreneur basé à San Francisco d’origine serbe qui n’est pas inconnu dans le monde des startups américaines.
On ne trouve pratiquement aucune information sur la taille de l’équipe ni sur l’identité de ses membres. Seul un article de 2019 (au début du projet donc) indiquait que l’équipe était composée de 6 personnes, toutes à distance, dont la moitié basée en Serbie .
On est donc très loin du storytelling soigneusement étudié de Neeva sur les anciens de Google désillusionnés et ses intenses efforts de communication. Ici, Vladimir Prelovac a fait le choix de ne pas investir un centime dans une campagne marketing et de communication et de tout miser (pour le moment en tout cas) sur le bouche-à-oreille (Kagi n’a même pas de compte propre sur les réseaux sociaux, c'est dire...). La seule communication passe par la rubrique « New » du site de Kagi, le compte de son fondateur sur les réseaux sociaux et une communauté sur Discord.
À l’avenir son fondateur n’exclut pas d’investir dans des panneaux publicitaires et des publicités à la radio et à la télévision.
Un écosystème composé d’un moteur Web, un navigateur et un moteur non commercial
Kagi Search s’inscrit dans un projet plus global de la part de son fondateur : ce dernier a également créé un navigateur appelé Orion Browser qui ne fonctionne que sur Mac et qui mise là encore sur le respect de la vie privée.
Parallèlement à Kagi et Orion, Vladimir Prelovac a également créé Teclis (https://teclis.com/), un moteur dit « non commercial » qui ne permet que de rechercher sur des pages dites « clean », c’est-à-dire des pages qui ont moins de 5 trackers ou cookies. L’idée étant que les sites commerciaux regorgent de trackers et de cookies alors que les sites complètement non commerciaux n’en ont pas ou pratiquement aucun. Teclis indexe également des URLs de contenus anciens et quand le contenu n’est plus disponible en ligne, il renvoie vers les pages archivées sur la Wayback Machine/ Internet Archive. Nous avons jeté un œil à Teclis et le nombre de résultats s’avère très limité et pas toujours pertinent. Mais ce moteur a le mérite de faire ressortir des contenus qui n’ont aucune visibilité sur les moteurs classiques.
Un agrégat d’index Web
A ce stade, Kagi Search n’a pas prévu de développer son propre index Web. Il utilise actuellement les API publiques de plusieurs moteurs de recherche dont Google ainsi que le petit index de son moteur non commercial Teclis que nous avons évoqué un peu plus haut.
Un modèle économique freemium qui devrait évoluer
Quant au modèle économique, Kagi Search existe pour l’instant en version gratuite, mais avec une limite de 50 recherches par mois.
La version premium permettant un nombre de recherches illimitées coûte aujourd’hui 10 $/mois.
Le fondateur de Kagi Search explique que le seul moyen de proposer un moteur sans publicité et sans récupérer ou vendre les données de ses utilisateurs, est de proposer un moteur payant.
Toute recherche menée dans un moteur a en effet un coût. Cela coûterait à Kagi 1 $ pour répondre à 80 requêtes.
Après quelques mois, Kagi Search aurait réussi à convaincre plus de 3 000 internautes de s’abonner, ce qui permet à ce jour de couvrir les frais techniques (API et infrastructure). Mais pour arriver à une stabilité (et ainsi pouvoir couvrir les salaires des employés), il leur faudrait atteindre 25 000 abonnés premium.
Les tarifs ont ensuite vocation à évoluer avec différentes offres :
- Un tarif équipe (Team Plan) pour un coût de 19 $/mois pour un nombre illimité d’utilisateurs et 0.0025 $ par recherche et l’accès à l’API.
- Un tarif famille de 5 $/mois et par utilisateur incluant 250 recherches par mois, une version du moteur pour les enfants et des blacklistés pour les enfants.
- Le tarif individuel (actuellement à 10 $/mois soit 120 $ par an) pourrait passer à 19 $/mois soit 180 $/an avec un nombre illimité de recherches ; est également prévu un tarif Starter de 5 $/mois limité à 200 recherches/mois et toujours la version gratuite limitée à 50 recherches/mois.
Kagi tient quand même à préciser que les abonnés historiques (c’est-à-dire ceux qui s’abonnent maintenant et jusqu’au changement de tarifs) pourront garder leur tarif de 10 $/mois indéfiniment tant qu’ils n’annulent pas leur abonnement.
La parole aux utilisateurs
Kagi Search semble accorder une véritable importance à ses utilisateurs et notamment à leurs remarques et suggestions qu’ils peuvent transmettre via le site kagifeedback.org.
Notre test : que vaut Kagi Search pour la recherche d’information ?
Tout d’abord impossible d’utiliser Kagi sans créer de compte.
Comment interroger Kagi Search ?
Même si rien n’est indiqué, c’est en utilisant le langage naturel que Kagi fonctionne le mieux.
Il comprend en général bien les questions posées (en anglais comme en français, langues sur lesquelles nous l’avons testé) et propose des résultats pertinents.
Seul problème, le nombre de résultats s’élève rarement au-delà d’une vingtaine sauf dans le cas de requêtes générant naturellement un très grand volume d’informations. La requête Biden
permet par exemple d’afficher 70 résultats, ce qui reste très faible quand on pense aux nombres de contenus qui doivent exister sur le Web avec ce terme.
Les filtres
Kagi propose plusieurs filtres intéressants pour les professionnels de l’information.
- Tout d’abord, on commencera par un filtre géographique. Par défaut le moteur est paramétré sur le pays dans lequel on se trouve (dans notre cas, la France), mais on peut changer ses paramètres en un clic dans les filtres en choisissant « International » pour le monde entier ou un pays spécifique dans la longue liste proposée. Cela permet en principe de faire ressortir des résultats plus locaux. Lors de nos tests, nous avons pu constater que si on avait bien dans certains cas des résultats locaux que l’on n’aurait pas retrouvé en choisissant « International » ou un autre pays, il y a aussi des cas où cela ne fonctionnait pas du tout.
- Deuxième filtre : le classement des résultats. Par défaut et comme sur tous les moteurs, Kagi nous propose des résultats par pertinence. Mais là où il s'avère réellement intéressant, c'est dans son option de classement par date (ce qui n’est pratiquement jamais possible sur les moteurs à l’exception des moteurs personnalisés comme Google CSE), un classement par site (ce qui correspond à un classement par ordre alphabétique des noms des sites) et, fait original, un classement par nombre de cookies/trackers. Et ces différentes options de classement peuvent se faire de manière ascendante ou descendante, c’est-à-dire de manière chronologique ou antéchronologique.
- Troisième filtre : le filtre par date qui est presque en tout point identique à celui de Google (dernières 24 h, dernière semaine, mois et année et même intervalle personnalisé). Il ne manque que le filtre « dernière heure ».
- Enfin, dernier filtre : là encore hérité de Google, la possibilité de choisir entre « tous les résultats » ou « verbatim ». On rappellera que verbatim permet en principe de forcer le moteur à rechercher précisément sur ce que l’on a entré dans sa requête et à ne pas interpréter et élargir la recherche. Mais on sait que dans la réalité, Google peut quand même passer outre…
Au niveau des résultats, Kagi Search regroupe automatiquement des éléments de même nature :
- Discussions (résultats émanant de forums ou espaces de discussion) ;
- Résultats provenant du même site ;
- Listicles (des articles qui proposent des listes, classements ou palmarès des 10 meilleurs outils, des 100 livres qu’il faut avoir lus dans sa vie, etc.).
Les opérateurs
Là encore, rien n’est mentionné à ce sujet, mais la plupart des opérateurs semblent fonctionner comme le OR, le NOT sous forme de tiret, les guillemets, l’opérateur filetype:, inurl:, site: etc.
On peut se demander si Kagi Search n’a pas tout simplement récupéré l’ensemble des opérateurs de Google.
Les verticales
Comme tout bon moteur, Kagi propose plusieurs moteurs verticaux.
Un moteur d’images qui propose les filtres suivants :
- Les photos les plus récentes ;
- Limiter aux GIFs ;
- Limiter aux images en HD ;
- Classement par pertinence, date, nom du site et taille des images ;
- Filtre par taille des images, couleur, type de licence, type d’images (dont visage !), format et filtre par date.
Un moteur de vidéos qui propose les filtres suivants :
- Durée ;
- Résolution ;
- Source (YouTube et Dailymotion, mais aussi d’autres sources comme Twitch).
Un moteur d’actualités qui ne permet que de limiter les résultats par date (dernières 24 h, semaine ou mois).
- Enfin Kagi propose son équivalent de Google Maps, qui d’après les retours des utilisateurs est un des points faibles de Kagi.
La personnalisation, point fort de Kagi Search
Comme nous avons eu l’occasion de l’évoquer à plusieurs reprises cette année, la personnalisation des moteurs et la possibilité de privilégier certaines sources et de créer des moteurs thématiques font leur grand retour sur le devant de la scène.
Et c’est justement l’une des grandes fonctionnalités de Kagi Search.
La première possibilité offerte consiste à donner plus de poids à certaines sources dans le moteur Web.
Quand on lance une recherche, on a ainsi à droite de chaque résultat une icône de type boule de cristal qui permet notamment d’avoir des informations sur la source en question (popularité, nombre de trackers, petit descriptif, propriétaire, date de création du nom de domaine, etc.), de regarder le résultat dans la Wayback Machine si le lien ne fonctionne pas et de relancer la même recherche sur ce site uniquement en utilisant automatiquement la commande site:. Mais ce n’est pas tout : l’internaute peut ajuster le classement de ce site dans ses résultats pour le futur. Pour cela, 5 choix : block (pour ne plus voir apparaître ce site), lower (pour qu’il soit relégué plus loin dans les résultats, normal (pour un classement neutre), higher (pour le mettre plus en avant) et pin (pour le mettre encore plus en avant).
Deuxième possibilité, la création de « Lenses », des sortes de mini moteurs personnalisables à l’image de Google CSE ou les Goggles de Brave (voir notre article « Utiliser la fonctionnalité Goggles de Brave Search en complément de Google CSE » - BASES n°406 - septembre 2022) directement intégrés dans le moteur Web.
L’internaute peut utiliser des Lenses existants proposés par Kagi :
- Discussions qui permet de rechercher sur des espaces de discussions uniquement (forums et autres espaces de discussion). Il semblerait que Kagi limite alors aux sites qui contiennent le terme « forum » dans leurs titres, description ou URL. C’est intéressant quand on sait que les forums ont de plus en plus de mal à émerger dans les résultats des moteurs ;
- EDU pour limiter aux sites en .edu qui est le marqueur des sites liés à l’éducation et aux universités dans les pays anglo-saxons ;
- News360 pour ne rechercher que sur quelques sites de presse internationale. Cela s’avère finalement peu utile, car il n’inclut - pour le moment en tout cas - que les sources suivantes : apnews.com, npr.org, aljazeera.com, globaltimes.cn ;
- PDF pour ne rechercher que sur des PDF (sûrement en utilisant l’opérateur filetype:pdf) ;
- Programming pour se limiter à des sites et forums spécialisés pour les développeurs ;
- Non-commercial pour se limiter à l’index non commercial de Kagi (dont nous avions parlé au début de cet article). C’est intéressant pour découvrir des résultats qui peinent à être visibles sur les grands moteurs comme Google. À titre d’exemple la requête
plateformes de veille
permet ici de n’avoir pratiquement aucun résultat issu d’un site d’un éditeur d’outil alors que sur Google c’est justement tout l’inverse.
L’internaute peut également se créer ses propres « Lenses ». Et cela a le mérite d’être aussi simple que de créer un moteur CSE. On est loin de la démarche complexe de la fonctionnalité Goggles sur Brave.
Il suffit d’entrer le nom de sa Lens, une description, les sites à inclure ou exclure (10 maximum à inclure et 10 maximum à exclure, ce qui est bien dommage…) ou des pages contenant certains mots-clés, un éventuel intervalle de date. Et le tour est joué.
Nous avons fait le test avec 10 sources spécialisées sur la veille et la recherche d’information et cela fonctionne bien même si, comme avec le moteur Web, le nombre de résultats reste trop limité à notre goût.
Notre avis : le match Neeva - Kagi Search
On ne peut que se réjouir de l’arrivée de nouveaux moteurs qui privilégient la qualité des résultats au même titre que le respect de la vie privée. Et finalement, par de nombreux aspects, Kagi Search est vraiment très similaire à Neeva.
👍 Kagi Search va même plus loin que Neeva en permettant de créer ses propres filtres/moteurs personnalisables (on regrettera beaucoup qu’il ne soit pas possible d’y mettre plus de 10 sites).
👍 On appréciera grandement son index non commercial qui permet de faire émerger des sites qui n’ont pratiquement aucune visibilité sur les grands moteurs.
👍 Les nombreuses fonctionnalités de recherche qui permettent l’usage de tous les opérateurs de Google et le classement par date sont également un gros plus.
👎 L’un des gros défauts de Kagi est le nombre de résultats pour une requête donnée, qui est beaucoup trop faible.
👎 On peut également se poser la question de la pérennité de l’outil. On a un peu le sentiment d’un outil développé par une personne seule au fond de son garage (mais après tout, c’est comme ça que les dirigeants de Google, Apple ou encore Microsoft ont commencé !). On a également du mal à voir comment ils vont réussir à convaincre 25 000 utilisateurs payants sans faire aucune véritable publicité alors que Neeva est sur ce terrain-là beaucoup plus offensif et dispose d’experts formés chez Google. D’autant que les tarifs vont encore augmenter prochainement (19 $/mois) et un tel budget est relativement élevé, d’autant que les internautes n’ont jamais été habitués à payer pour ce type d’outil.
Quant à la place que Kagi Search pourrait occuper dans le quotidien du professionnel de l’information, dans l’idéal, il faudrait pouvoir souscrire aussi bien à Neeva qu’à Kagi Search, car ils s’avèrent au final complémentaires.