Antérioriser un brevet, une démarche complexe et aléatoire mais à fort enjeu

François Libmann
Bases no
333
publié en
2016.01
801
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Le cas de figure est classique. Un concurrent attaque un brevet que vous avez déposé, récemment ou non, au motif qu’il serait une contrefaçon d’un de ses propres brevets, déposé bien sûr avant le vôtre.

Si le brevet attaqué est le fondement du développement d’un produit ou d’une famille de produits, l’enjeu économique peut alors être très important, comme nous l’a fait savoir un client à qui il est arrivé récemment une telle mésaventure. Il était tout simplement menacé d’avoir à renoncer à lancer sa nouvelle famille de produits sauf à négocier en position très défavorable avec son concurrent.

Dans le cas précis, la recherche d’antériorité préalable au dépôt de son brevet était malencontreusement passée à coté du brevet adverse.

Autre cas de figure, imparable celui-là, le brevet adverse a été déposé au cours des dix huit mois précédant la recherche d’antériorité. Il n’avait donc pas été publié au moment de cette recherche.

Nous avons connu encore un troisième cas de figure légèrement différent. La démarche de veille de notre client avait détecté que l’un de ses concurrents avait déposé un brevet dans leur domaine commun d’activité, à savoir des machines de contrôle en continu de la fabrication d’un certain produit. Or ce brevet cherchait à protéger une gamme très large de moyens destinés à réaliser une fonction donnée, risquant ainsi de bloquer d’éventuels dépôts postérieurs de brevets s’appuyant sur une façon particulière de remplir cette fonction. Au-delà même du dépôt de brevet, une simple utilisation de cette méthode particulière était aussi prohibée. Cette situation contrecarrait les projets de notre client, comme on peut le comprendre.

Le point commun de ces trois cas de figure résidait dans le fait que pour se libérer de la contrainte, il fallait tenter d’antérioriser le brevet adverse en trouvant idéalement un document, d’ailleurs pas nécessairement un brevet, qui à lui seul ou combiné à d’autres, permette de démontrer qu’il n’y avait pas assez de nouveauté dans ce brevet.

Il suffit que ce document ait été publiquement accessible avant la date du dépôt prioritaire du brevet adverse, et ce même si la diffusion du document n’avait pas été très large. Il pouvait par exemple avoir été publié dans une revue technique peu diffusée.

On peut aussi, même si c’est moins simple, avec l’aide d’un conseil en brevet et/ou d’un avocat spécialisé, construire une argumentation s’appuyant sur la combinaison de plusieurs documents.

Pour illustrer la variété des sources possibles nous nous rappelons ce que nous avait confié, lors d’une de nos visites à l’Office Européen des Brevets à la Haye, un examinateur de brevets qui était issu d’une famille néerlandaise d’industriels de l’aviation. Il nous avait alors raconté qu’il lui était arrivé à plusieurs reprises de trouver dans les archives familiales des antériorités imparables au sein d’anciennes publications spécialisées.

Les examinateurs de brevets de l’OEB réalisent donc des recherches d’antériorité dont le résultat est un rapport de recherche qui contribue fortement à l’évaluation du brevet.

Pour ce faire, ils sont loin d’être démunis car ils disposent de bases de données performantes avec des interfaces adaptées à leurs méthodes de travail et sont spécialisés dans un domaine relativement étroit, ce qui leur donne une bonne culture du sujet. De plus, comme on l’a vu plus haut, il arrive qu’ils détiennent en complément des sources personnelles.

Cependant, le champ de recherche étant quasi illimité, contrairement au temps alloué à l’examen d’un brevet qui est nécessairement limité, le rapport de recherche est un élément important mais il ne clôt pas le débat de façon définitive.

Il n’est donc pas inutile, si l’enjeu économique le justifie, de procéder à des recherches complémentaires.

Avant l’apparition des banques de données, les recherches se faisaient «à pied» en particulier à l’INPI (Institut National de la Propriété Industrielle) où des spécialistes consultaient les immenses répertoires papier des brevets déposés. Cette pratique a disparu compte tenu du très fort développement des banques de données brevets. Au passage, cela explique pourquoi de nombreux cabinets de brevet étaient situés près de la rue de Saint-Pétersbourg, où se situait, jusqu’en 2012 le siège, de l’INPI.

Pour certains produits, il peut aussi être utile d‘explorer dans le détail des catalogues anciens de produits. Cette pratique continue d’ailleurs d’exister mais elle est très ingrate.

Même si nous nous limiterons ici à l’utilisation des sources électroniques, les possibilités sont très nombreuses.

Dans un premier temps, on pensera évidemment aux sources brevet, même si l’examinateur de brevet a déjà réalisé une recherche dans ce corpus.

On dispose pour cela de nombreuses sources présentant beaucoup de points communs mais possédant néanmoins quelques particularités.

Pour les recherches purement brevet, nous utilisons régulièrement Orbit qui offre aujourd’hui plusieurs types de recherches que l’on peur combiner de multiples façons en réitérant les recherches autant de fois qu’on le souhaite.

Mais un préalable absolu est un contact approfondi et régulier, à mesure des avancées de la recherche, avec le spécialiste du sujet. Il doit permettre de bien comprendre le sujet et les points qui posent problème et sur lesquels il faut se concentrer, en particulier les revendications. En cours de route, ce dialogue permettra d’évaluer les résultats et de suggérer de nouvelles pistes de recherches.

Outre la recherche par les termes, recherche qui peut être complexe, on peut en outre «jongler» avec les «citants/cités», les brevets similaires et avec la recherche sémantique récemment introduite, en réitérant la recherche autant que cela paraît utile. C’est là qu’une forte créativité dans la conception et la réalisation des stratégies est un atout certain.

On notera que PatBase qui a un fonds analogue à celui d’Orbit, offre aussi une recherche de similarité qui fonctionne avec un algorithme différent et donne donc des résultats différents.

Il faut savoir que STN et Proquest Dialog disposent tous les deux de langages d’interrogations très sophistiqués et de très belles collections de bases brevet qui s’ajoutent à leurs nombreuses bases de données de littérature scientifique et technique.

Cela permet, dans les deux cas, de faire simultanément la recherche dans les bases brevet et les bases de littérature scientifique.

De plus, chez Proquest Dialog, on a la possibilité, à partir d’un ou plusieurs terme(s) pertinent(s), de rechercher les brevets qui citent au moins un article dont le titre contient le(s) terme(s) recherché(s). Mais il faut savoir que les banques de données de brevets proposées par Dialog ne contiennent pas toutes des références de littérature. Cela constitue néanmoins une façon originale d’identifier des brevets potentiellement pertinents.

Par ailleurs, STN est incontournable dans le domaine de la chimie et la banque de données Chemical Abstracts offre 42 millions de références de littérature et de brevets ayant une indexation propre à la chimie. Depuis juillet 2009, elle propose aussi les références citantes (brevets ou littérature) pour peu qu’elles figurent dans la base.

STN propose aussi depuis peu sur sa nouvelle plateforme (new STN) un regroupement des sources permettant d’effectuer des recherches sur les structures de Markush, ce qui est très utile pour les recherches de brevets concernant des produits chimiques complexes, par exemple des médicaments.

Autre originalité de STN, la possibilité d’introduire dans l’équation de recherche des valeurs numériques pour 55 grandeurs physiques, soit les valeurs précises soit des intervalles de valeurs. Il s’agit par exemple de la longueur, de la densité de courant, de l’intensité lumineuse ou de la pression. Cette possibilité est offerte aussi bien dans les bases de littérature que dans les bases brevets dont un grand nombre proposent le texte intégral (c’est-à-dire là où l’on a le plus de chance de trouver des valeurs numériques).

Citons aussi la banque de données Derwent World Patents Index (DWPI) disponible sur Proquest Dialog, STN et Thomson Innovation dont les valeurs ajoutées sont la réécriture du titre et de l’abstract des brevets ainsi qu’une indexation «maison» très précise.

Dans le domaine des brevets on citera aussi la nouvelle plateforme américaine AI Patents (voir Bases n° 330 - Octobre 2015) qui propose une recherche sur les brevets américains à partir d’une méthode originale consistant à se baser sur les rapports de recherche des examinateurs de l’USPTO, ce qui peut permettre de trouver des brevets qui auraient échappé à d’autres approches.

Les publications défensives

En complément des bases brevet, il peut être judicieux de penser à ce que l’on appelle des publications défensives.

Ces publications défensives qui sont généralement assez brèves, proviennent le plus souvent de sociétés, qui pour différentes raisons, la plupart du temps économiques, n’ont pas la volonté de déposer un brevet mais souhaitent néanmoins qu‘aucune autre société ne puisse le faire autour de la technologie donnée. Concrètement, cela leur permet d’exploiter cette technologie, mais cela n’empêche pas un concurrent de l’exploiter également.

La plus connue des bases de données de cette nature est RDisclosure que Questel a rachetée en 2011. D’après le producteur, 10% des publications présentes dans RDisclosure ont fait l’objet d’une citation dans un rapport de recherche. Malheureusement l’utilisation de RDisclosure n’est pas incluse dans Orbit et il faut souscrire un contrat séparé.

On peut néanmoins trouver les informations de RDisclosure soit dans STN qui offre la banque de données RDISCLOSURE, soit dans World Patents Index disponible à différents endroits en tant que source non brevet. Même si le nombre de documents (1000 à 2000 nouvelles entrées par an) reste modeste comparé aux bases brevet, il serait dommage de l’ignorer.

Les sources non brevet

Si la recherche de brevets pertinents est un préalable incontournable, ce type de source est loin d’être la seule intéressante.

En effet, dans de nombreux cas, il peut être utile d’explorer les sites proposant de la littérature scientifique.

De nombreuses possibilités existent pour chercher parmi des centaines de millions de références.

On pensera bien sûr aux serveurs STN et Proquest Dialog qui permettent d’utiliser des stratégies sophistiquées ainsi qu’à Scopuset Web of Science.

On n’oubliera pas Google et Google Scholar, ainsi que de nombreux sites gratuits, au moins en partie et les sites en open access.

Les sites d’éditeurs (Science Direct d’Elsevier, Springer Link, Wiley Online Library, …) sont aussi des sources à explorer, et dans lesquels la recherche et la visualisation des résumés d’articles sont gratuites. Si l’article est disponible en open access, on peut alors le visualiser gratuitement.

Par ailleurs il n’est pas inutile de faire un travail de sourcing spécifique dans le secteur de l’invention.

Les possibilités y sont sinon infinies, au moins très nombreuses. On citera à titre d’exemple INIS sur l’industrie nucléaire à vocation civile (voir Bases n° 259 - Avril 2009), Prodinra qui recense les publications des chercheurs de l’INRA, (voir Bases n° 299 - Décembre 2012). On pourra aussi chercher à identifier des sources de littérature grise (voir Bases n°326 - Mai 2015).

On n’oubliera pas non plus les thèses françaises et internationales disponibles dans de nombreux sites (voir Bases n° 312 - Février 2014).

Bien sûr, selon les sites, les possibilités de recherche seront plus ou moins sophistiquées.

Pour les sources du Web il faudra être très attentif à la preuve de la date de publication qui est un élément essentiel.

Une décision récente qui a mis fin à 13 années de procédures a ainsi validé des dates de publication d’informations trouvées dans le site du quotidien américain Florida Times Union et du site d’archives du Web (www.archive.org) (voir Bases n°318 - Septembre 2014).

Recherche sur les noms d’inventeurs

Une précaution élémentaire, si l’on n’a toujours pas trouvé de résultats satisfaisants consiste à s’intéresser à l’inventeur ou aux inventeurs.

En effet, rien ne garantit qu’ils n’aient pas commis d’imprudence en divulguant précocement des informations-clés.

On cherchera à retrouver leur(s) thèse(s) s’ils en ont soutenu, et les articles qu’ils ont écrits. On signalera à ce propos que les recherches par auteur sont très performantes sur Scopus mais également réalisables sur STN ou Proquest Diaog.

On pourra aussi chercher à identifier des congrès spécialisés dans lesquels les inventeurs auraient pu s’exprimer, sachant que tous les congrès ne sont pas référencés dans les banques de données ce qui ne simplifie pas les choses.

En conclusion : Résultat non garanti mais «jackpot» possible

On voit donc qu’il existe de nombreuses possibilités, mais il faut savoir que ces recherches sont quelque peu frustrantes car beaucoup sont infructueuses et obligent en tout état de cause à examiner de nombreux documents décevants.

Ces recherches, si on veut vraiment les pousser, nécessitent un investissement non négligeable en temps et en argent, sans garantie de résultats.

Mais le plus souvent ce coût est dérisoire si on le compare aux enjeux liés à la validité du brevet adverse.