Les livres, ces oubliés de la veille

Carole Tisserand-Barthole
Bases no
382
publié en
2020.06
952
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La veille, qu’elle soit stratégique, concurrentielle, scientifique ou technique est généralement associée aux contenus et sources numériques : presse, sites d’actualités, blogs, réseaux sociaux, sites institutionnels, articles scientifiques, brevets, bases de données, etc.

Les livres, plus naturellement associés au papier qu’au numérique malgré l’existence des ebooks, sont souvent les grands absents des projets de veille. Alors qu’ils renvoient pourtant aux origines mêmes du métier de professionnel de l’information.

Il manque aux livres et ouvrages cette « fraîcheur » et instantanéité de l’infor­mation associée aux contenus numériques. Il n’est pas non plus simple de rechercher numériquement sur ce type de contenus pour lesquels on ne dispose souvent que des références bibliographiques. Enfin, ils ne sont pratiquement jamais accessibles gratuitement (à l’exception des livres en open access encore rares ou des ouvrages qui ne sont plus couverts par le droit d’auteur).

Inclure les livres à sa veille n’a pas de sens pour tous les types de veilles et pour tous les sujets. Mais ils ont toute leur place pour l’investigation et l’analyse en profondeur de certaines thématiques.

Dans quels cas, faut-il penser à inclure les livres et monographies à sa veille ? Quels sont aujourd’hui les grandes sources et les outils à connaître pour la surveillance et la recherche de livres ? Comment mettre en place une veille spécifique sur les nouveaux livres parus dans son secteur d’activité ?

Quels livres pour quelle veille ?

Quand on parle de livres, il faut tout d’abord prendre en compte leur grande diversité :

  • Livres scientifiques et universitaires ;
  • Livres de vulgarisation, livres pratiques ;
  • Manuels scolaires ;
  • Encyclopédies, dictionnaires ;
  • Romans, essais, livres jeunesse et bandes dessinées.

Les romans, essais, bandes dessinées ou ouvrages scolaires auront un intérêt quasi nul pour les professionnels de l’information en entreprise à l’exception de ceux travaillant pour des éditeurs (mais pas nul comme en atteste ce cas que nous avons rencontré où un brevet a pu être antériorisé à partir d’une bande-dessinée : https://www.fla-consultants.com/fr/blog-actualites/anterioriser-un-brevet-adverse-resultat-non-garanti-mais-jackpot-possible-intervention-de-francois-libmann-chez-intellixir).

Ils pourront être utiles pour les chargés de collections en bibliothèque, les pro­fesseurs-documentalistes et tout autre professionnel de l’information travaillant dans le secteur de l’enseignement qui souhaitent suivre les dernières parutions dans leur secteur.

À l’inverse, les livres scientifiques, universitaires ou de vulgarisation pourront trouver leur place dans la veille des entreprises dans le cadre de veilles scientifiques, techniques ou encore métier.

Au-delà de cette diversité, les livres n’ont pas non plus de rôle à jouer pour tous les types de veille. On pensera surtout à les intégrer dans les cas suivants :

  • Veille métier  : quelle que soit la profession, les éditeurs professionnels publient chaque année des ouvrages pratiques et de vulgarisation qui permettent de faire le point sur les grandes tendances, explorer en profondeur certains aspects clés ou découvrir des sujets ou tendances émergentes ;
  • Veille scientifique ou innovation  : même si on pense plus naturellement à la littérature scientifique sous la forme d’articles, il existe également de nombreuses monographies scientifiques et académiques. Il peut s’agir aussi bien d’ouvrages de réflexion collectifs, de guides pratiques, de thèses adaptées en livre, de comptes-rendus de conférence, etc. On pourra ainsi y découvrir des analyses approfondies, des sujets novateurs;
  • Veille sociétale : la veille sociétale exige généralement une surveillance des contenus en SHS, contenus qui peuvent prendre la forme d’ouvrages académiques ;
  • Veille juridique et réglementaire : dans le domaine juridique, le papier n’a pas complètement disparu et certaines publications ne disposent pas d’équivalent numérique.

Les livres seront rarement utiles dans un contexte de veille stratégique, con­currentielle, e-réputation/image où l’on a besoin d’informations très récentes. Mais on n’est jamais à l’abri de quelques bonnes surprises comme par exemple une analyse de cas très poussée sur les concurrents d’une entreprise dans un ouvrage universitaire…

Sources et outils pour inclure les livres à sa veille 

On ne recherche pas sur les livres comme on recherche sur d’autres contenus textuels.

D’une part, parce que deux formats coexistent :

  1. Papier ;
  2. Numérique (PDF ou EPUB surtout et parfois HTML).

D’autre part, parce qu’en fonction des sources utilisées, on peut rechercher sur le texte intégral ou uniquement sur les métadonnées (titre, résumé, nom d’auteur, éditeur, date de publication, etc.) ce qui est encore le cas le plus courant.

Il existe toute une panoplie de sources et outils de recherche pour identifier des livres, nous avons recensé ici les plus importants (voir figure 1.).

Nom URL
Moteurs de livres
Google Books https://books.google.fr
Open Library https://openlibrary.org/
Projet Gutenberg https://www.gutenberg.org/catalog/
Many Books https://manybooks.net
Internet Archive https://archive.org/details/texts
Scribd https://fr.scribd.com/
Sites de E-commerce
Amazon https://www.amazon.fr
Lalibrairie.com https://www.lalibrairie.com
Chapitre https://www.chapitre.com
Quelques catalogues de bibliothèques
Catalogue de la BNF pour la France https://catalogue.bnf.fr/
British Library https://www.bl.uk/
Congress Library https://www.loc.gov/
Bibliothèque et archives Canada https://www.bac-lac.gc.ca
Sudoc http://www.sudoc.abes.fr
Worldcat https://www.worldcat.org/
Bibliothèques numériques
Gallica https://gallica.bnf.fr/
Europeana https://www.europeana.eu/fr
Hathitrust https://www.hathitrust.org/
Editeurs et moteurs Open Access
DOAB https://www.doabooks.org/
Oapen http://library.oapen.org
Open edition https://books.openedition.org/
Serveurs et bases de données et plateformes d’ebooks (payant)
Ebsco ebooks collection https://www.ebsco.com/products/ebooks
Proquest Ebooks Central https://ebookcentral.proquest.com/
Gale ebooks https://www.gale.com/intl/ebooks
Dawsonera https://www.dawsonera.com/
Cyberlibris (ScholarVox) http://univ.scholarvox.com/

Figure 1. Principaux outils et sources pour identifier des livres

Les moteurs de recherche de livres

Google Books et Google talk to books

Comme souvent, Google est un incon­tournable avec son service Google Books. Il se décrit lui-même comme ayant « l’index de livres complets le plus fourni au monde. »

En 2019, Google Books indexait plus de 25 millions de volumes. (Source Wired) 

Une grande partie d’éditeurs y référen­cent leurs ouvrages. Google y a égale­ment appliqué sa marque de fabrique : la recherche en texte intégral. Pour autant, les livres ne sont pas nécessairement en libre accès, mais seules quelques pages peuvent être visibles gratuitement.

En 2018, Google a développé un autre projet appelé Google Talk to Books(https://books.google.com/talktobooks/ - voir figure 2.) qui utilise l’IA pour la recherche de livres. Il s’agit de poser des questions en langage naturel et d’obtenir des passages et extraits de livres qui répondent à la question. L’outil utilise l’index de Google Books mais ne fonctionne que pour des questions en anglais.

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Figure 2. Interface de Google Talk to Books

La qualité des résultats est inégale selon la question posée. On pourrait l’utiliser en complément d’une recherche sur Google Books pour essayer une autre façon de rechercher.

Les autres moteurs de livres

En dehors de Google Books, il existe d’autres moteurs de livres comme Open Library, Projet Gutenberg, Many Books, Internet Archive ou encore Scribd.

Chacun dispose de son propre posi­tionnement, mais tous proposent une recherche sur les métadonnées :

  • Internet Archive se spécialise sur les livres en accès libre ;
  • Open Library (projet d’Internet Archive) ambitionne de devenir le catalogue le plus complet des livres au monde (mais il y a encore un peu de travail, car l’index reste relativement limité) ;
  • Projet Gutenberg se focalise surtout sur la littérature ancienne ;
  • Many Books propose essentiellement de la littérature anglaise ;
  • Et Scribd se voit plutôt comme un Netflix des livres avec un abonnement mensuel pour obtenir des livres en texte intégral.

Autre ressource incontournable :

  • Les catalogues de bibliothèques.

Dans un grand nombre de pays, chaque nouvel ouvrage doit faire l’objet d’un dépôt légal généralement dans la bibliothèque nationale (BNF en France, British Library au Royaume-Uni, etc.). Les catalogues de ces bibliothèques répertorient tous les livres parus et il est donc intéressant de les interroger.

On pensera également aux catalogues à vocation nationale comme le SUDOC pour les bibliothèques universitaires françaises ou à vocation mondiale comme Worldcat.

Il s’agira ici uniquement de notices bibliographiques et de la localisation du document en bibliothèque. Il faudra se rendre sur d’autres sources pour pouvoir les acheter ou les consulter.

Les moteurs académiques

Les moteurs académiques comme Isidore, Lens, Dimensions, etc. ne sont pas à proprement parler spécialisés sur les livres, mais ils indexent un nombre important de références bibliographiques d’ouvrages scientifiques ou académiques ou de chapitres d’ouvrages.

Une fois la requête lancée dans ces moteurs, un filtre est généralement pro­posé pour limiter les résultats uniquement aux ouvrages et monographies.

Google Scholar, lui, ne propose pas cette option.

Les sites de e-commerce

Même s’ils visent avant tout le grand public, les sites de e-commerce de livres et notamment Amazon, la Fnac, Chapitre.com, etc. peuvent également être intéressants dans un contexte de recherche et de veille, par la façon dont ils ont été conçus.

Leurs catalogues sont généralement très fournis et ils proposent des fonction­nalités de recommandations de contenus intéressantes comme « Les clients ayant consulté cet article ont également regardé » « les clients ayant acheté ce produit », « produits similaires ».

La navigation par classification/catégorie est également différente de ce que l’on peut trouver sur les catalogues de bibliothèques et cela peut donc être complémentaire.

Les moteurs de livres en open access

Beaucoup moins développé que pour les articles scientifiques, l’open access fait aussi son chemin du côté des ouvrages scientifiques et académiques.

Les moteurs de livres en open access comme DOAB ou OAPEN ou les moteurs d’éditeurs de livres en open access comme Open Editions sont des ressources intéressantes à consulter.

Les bibliothèques numériques

Pour les livres anciens, on pensera également aux bibliothèques numériques nationales ou internationales comme Gallica, Europeana qui fournissent alors le texte intégral des contenus qui ne sont plus protégés par le droit d’auteur.

Il existe également une multitude de petites bibliothèques numériques (à l’échelle d’une ville, d’une région, d’un musée, d’une bibliothèque, d’un établissement, etc.) que l’on pourra essayer d’identifier.

Les serveurs et bases de données

On ne négligera pas non plus les serveurs et bases de données plus classiques qui peuvent proposer des collections d’ebooks, des bases de données dédiées aux ouvrages proposant des livres dans leur intégralité ou des bases thématiques susceptibles de contenir quelques références d’ouvrages.

L’accès à ces différents outils nécessite un abonnement.

On pensera à :

  • EBSCO et son offre d’ebooks (plus de 1,5 million) sur lesquels il est possible de faire des recherches. Certaines bases de données d’EBSCO proposent également des références de monographies ;
  • Proquest avec sa plateforme Ebooks Central propose plus de 1 million d’ebooks. Certaines bases de données proposent également des références de monographies ;
  • Gale propose également une plateforme d’ebooks ainsi que des références de monographies et chapitres dans ses bases de données ;
  • Dawsonera est une plateforme d’ebooks qui s’adresse avant tout aux bibliothèques académiques avec un corpus de plus 600 000 ouvrages ;
  • Cyberlibris propose différentes plateformes à destination de différents publics (ScholarVox pour les établissements d’enseignement, Business-vox pour les entreprises, etc. avec plusieurs dizaines de milliers d’ouvrages sur lesquels il est possible de rechercher sur le texte intégral).

Cas pratique

Venons-en maintenant à un cas concret où les livres ont toute leur place dans le processus de veille : celui d’une veille métier.Prenons comme exemple le secteur de la veille et de l’intelligence économique. Chaque année paraissent plusieurs ou­vrages sur le sujet en France et à l’étran­ger, qu’il peut être intéressant de lire et consulter pour parfaire ses pratiques de veille.Pour autant, les repérer n’est pas si simple, car aucun site ou ressource n’agrège toutes les nouveautés du secteur.

Alors, comment s’y prendre ?

1. Commençons par faire la liste des mots-clés pertinents en français et en anglais comme veille, veille stratégique, intelligence économique, competitive intelligence, etc.

2. On interrogera ensuite des ressources spécialisées sur les livres avec ces mots-clés comme

  • Le catalogue de la BNF pour être exhaustif pour la France ;
  • Amazon (surtout pour les recommandations de contenus et la taille du catalogue) qui permet d’identifier des ouvrages en peu en dehors de la thématique pure ;
  • Google Books ;
  • Les serveurs et bases de données mentionnés plus haut dans l’article si l’on dispose d’un abonnement.

3. On pourra également recourir à d’autres méthodes pour repérer ces nouveaux ouvrages.

  • Si on réalise déjà une veille métier sur Twitter en suivant des comptes qualifiés et spécialisés sur le sujet, on pourra rechercher grâce à l’opérateur filter:follows des tweets mentionnant la publication d’ouvrages. La requête pourra être la suivante : filter:follows livre OR ouvrage OR monograhie OR chapitre 
  • Interroger Google en croisant des termes liés à la notion de livre et à la notion de veille et d’intelligence économique et en limitant aux résultats de moins d’un an ;
  • Regarder les sites des éditeurs professionnels (Dunod, De Boeck, éditions de l’ENSSIB, etc.) et regarder leurs pages nouveautés ;
  • Regarder la presse professionnelle du secteur qui peut annoncer la parution de nouveaux ouvrages ou proposer des analyses et critiques de ces nouveaux ouvrages.
La majorité de ces services (à l’exception des bases de données payantes) ne pro­pose pas de fonctionnalités d’alertes ou la possibilité d’obtenir un flux RSS.

On pourra donc soit créer des flux RSS grâce à des petits outils dédiés (comme Queryfeed, Feed43, etc.) soit surveiller les pages de résultats avec des outils de veille. Mais vu le faible volume d’ouvrages paraissant chaque année sur le sujet, on pourra se contenter de relancer des recherches sur ces outils plusieurs fois par an.

Grâce à cette stratégie, on repérera la grande majorité des ouvrages du domaine qu’il s’agisse de livres pratiques et de vulgarisation ou d’ouvrages plus académiques sur la veille et l’intelligence économique. La lecture d’une sélection d’entre eux permettra de nourrir sa réflexion sur les évolutions du métier et découvrir de nouvelles méthodes et outils.