Penser par soi-même - êtes-vous « IA Gen sobre » ?

Christian VIGNE
Netsources no
177
publié en
2025.08
41
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Tags
retour d'expérience | ChatGPT | Intelligence artificielle
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Chroniques amusées sur l’intelligence artificielle par Christian Vigne Christian VIGNE

Christian Vigne, anciennement Product Manager chez Google, s’amuse dans ses chroniques à explorer l’impact de l’IA sur nos vies. Il est amené à conseiller les entreprises sur leurs stratégies IA (cadrage, priorisation, formation, conduite du changement).

J’ai découvert Luc Julia grâce à l’excellente série d’Arte intitulée « Silicon Fucking Valley ». Luc Julia est directeur scientifique, co-inventeur de Siri, et tellement français à bien des égards. Son dernier livre, IA génératives, pas créatives — l’intelligence artificielle n’existe (toujours) pas, agit comme une douche glacée pour obliger à reconsidérer l’engouement autour de l’IA générative. Je suis tombé sur un parallèle intéressant (page 168) entre les déplacements « auto-propulsés » et la pensée « auto-propulsée ». L’idée : demain, on nous demandera de faire un usage raisonné de l’IA générative (car elle consomme énormément de ressources) de la même manière qu’on nous demande aujourd’hui d’utiliser nos voitures avec parcimonie (car elles nuisent à l’environnement).

Les déplacements auto-propulsés (à vélo, à pied) étaient un concept populaire à l’époque où je faisais la promotion du vélo au bureau de Google à Paris. Le principe : inciter les employés à utiliser leur propre énergie pour aller d’un point A à un point B, à condition qu’ils en aient la capacité physique (et géographique). Après tout, Paris est une petite ville, et pour ceux qui vivent à proximité, se déplacer sans brûler d’énergie externe est une sage option, avec de multiples bénéfices en termes de bruit urbain, de consommation de ressources, de coûts personnels et de santé. En observant aujourd’hui le nombre de cyclistes en ville, on voit que le concept a pris. Et si, dans les années à venir, la pensée auto-propulsée devenait elle aussi une pratique, comme l’a été le vélo ?

« Faisons une analogie avec la voiture et les transports. Dans notre confort et notre paresse, nous utilisons parfois notre voiture alors que nous pourrions prendre les transports en commun. Ou faire le trajet à pied. Aujourd’hui notre utilisation de la voiture est de plus en plus responsable. Il devrait en être de même pour les IA génératives. »

La paresse est la promesse implicite de l’IA générative - d’autant plus que l’on parle maintenant d’agents qui feraient tout à notre place. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est Luc Julia qui le sous-entend. Notre capacité à réfléchir pourrait s’atrophier de la même manière que notre capacité à bouger s’atrophie quand on s’appuie trop sur la voiture et pas assez sur nos moyens de locomotion naturels, autrement dit nos jambes. Nous l’avons déjà tous expérimenté : utiliser un chatbot pour rédiger un contenu prend quelques secondes, contre un effort intellectuel long et pénible - alors pourquoi souffrir ? S’installer confortablement dans sa voiture pour aller chercher du pain au lieu de marcher repose sur le même mécanisme que s’appuyer sur Gemini pour écrire un essai ou une lettre de motivation. Pure paresse.

Mais dans cette analogie, nos mains (qui tapent et écrivent) sont nos jambes. Si nos jambes se contentent de pousser des pédales comme nos mains se contentent d’écrire quelques prompts, il est probable que leurs muscles s’affaiblissent avec le temps. Le succès populaire de ChatGPT & friends est certainement lié à ce que Paul Graham formule ainsi dans cet article : « La raison pour laquelle tant de gens ont du mal à écrire, c’est que c’est fondamentalement difficile. Bien écrire demande de penser clairement, et penser clairement est difficile. »

Pour beaucoup de bonnes raisons, les gens sont dépendants de leur voiture. La technologie automobile s’est banalisée, et le vrai luxe aujourd’hui est de ne pas avoir de voiture, parce qu’on vit dans un centre-ville où l’on dispose de multiples options de transport. Ceux qui vivent dans ces centres profitent d’une plus grande liberté de marcher, de pédaler, donc de maintenir leurs muscles en forme. De la même manière, si vous avez déjà une compétence d’écriture développée, ou simplement avez conscience que c’est important, vous maintiendrez également vos capacités à écrire, donc à penser. Hypothèse : lorsqu’une technologie de pointe est adoptée massivement, elle devient discriminante. Plus les gens délégueront l’écriture à l’IA générative, moins ils sauront écrire, et donc penser.

Pour citer à nouveau le même article : « Un monde divisé entre ceux qui écrivent et ceux qui n’écrivent pas est plus dangereux qu’il n’y paraît. Ce sera un monde divisé entre « ceux qui pensent » et « ceux qui ne pensent pas ».

Restons optimistes : il y a fort à parier que des entrepreneurs lanceront des « writing challenges » inspirés des « walking challenges » devenus populaires lors des confinements.

Et chaque pas sera un mot.