Les ressources cachées des collectivités territoriales

Carole Tisserand-Barthole
Netsources no
121
publié en
2016.03
734
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Les ressources cachées des collectivités territoriales Image 1
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Les collectivités territoriales (aussi appelées collectivités locales) produisent de nombreux contenus qui peuvent revêtir un intérêt stratégique pour les décideurs. Par collectivités territoriales, nous parlons aussi bien des communes, métropoles, communautés de communes que des départements ou encore des régions.

Pendant de très nombreuses années, les contenus produits par ces organismes et pourtant voués à être rendus public, étaient très difficilement accessibles ou uniquement aux habitants du secteur en question (journal de la commune par exemple ou délibérations affichées dans le hall de la mairie). Quand l’on souhaitait recevoir une copie d’un document administratif, il fallait alors faire une demande écrite, ce qui prenait un temps considérable quand la demande n’était pas tout simplement refusée pour des motifs plus ou moins valables.

Heureusement, de plus en plus de collectivités ont pris le virage du numérique et proposent depuis des années leurs contenus sur leurs sites Web. Cette tendance s’est accélérée récemment suite à l’essor du mouvement lié à l’Open Data mais également grâce à un cadre juridique de plus en plus strict en la matière. Mais il restait encore de nombreux réfractaires qui ne publiaient pas en ligne leurs documents publics ou bien les publiaient avec des délais frôlant l’indécence.

Dernier évènement en date et pas des moindres : la publication d’un décret en février 2016 précisant les modalités d’application de certains articles de la loi NOTRe concernant la mise en ligne de documents publics par les villes, départements et régions. En clair, ce décret indique entre autres que les communes disposant d’un site Internet sont tenues de diffuser les comptes-rendus du conseil municipal dans un délai d’une semaine alors qu’auparavant, leur seule contrainte était de les publier dans l’enceinte de leurs locaux. C’est évidemment une excellente nouvelle mais encore faudrait-il que toutes les collectivités connaissent et appliquent ces dispositions...

De quels contenus parle-t-on ?

Comme nous le disions en introduction, les sites Internet des communes, des communautés de communes, des départements ou encore des régions regorgent parfois d’informations pouvant représenter un réel intérêt dans le cadre d’une veille concurrentielle, sectorielle, commerciale, appels d’offres, etc.

Mais de quelles informations s’agit-il ?

Pour les communes, on pourrait caractériser les contenus/informations potentiellement utiles dans le cadre d’une veille ou d’une recherche d’informations de la manière suivante :

Communes

  • les actualités de la commune
  • la newsletter avec les actualités
  • le journal de la commune
  • les comptes-rendus, délibérations et ordre du jour des conseils municipaux
  • les événements dans la rubrique Agenda
  • les informations financières et budgétaires
  • les informations sur les projets / grands projets
  • les informations thématiques dans les rubriques Transports, Urbanisme, Environnement, Economie etc.)
  • les enquêtes publiques / consultations en cours et archivées
  • les informations sur les élus
  • les documents produits par les différentes commissions
  • les documents produits par les assemblées et bureaux de quartier ainsi que les groupes de travail
  • les offres d’emploi
  • les marchés publics
  • les informations publiées sur un compte Twitter ou sur une page/groupe Facebook

Pour les communautés de communes, la typologie des ressources intéressantes est sensiblement la même mais elles s’appliquent dans ce cas aux compétences dont ont hérité ces communautés et qui sont différentes de celles de la commune. Rappelons qu’une communauté de communes est un établissement public qui regroupe plusieurs communes. Elles existent depuis 1992.

Ces communautés héritent souvent de compétences qui ne sont alors plus gérées par la commune (ou en partie seulement). C’est le cas du développement économique, de l’aménagement de l’espace, de la gestion des déchets, du transport, de l’urbanisme, de la gestion de l’eau, de l’assainissement, de la construction d’équipements sportifs et culturels et d’écoles, etc.

Dans la même veine, on trouve les communautés d’agglomérations et les métropoles qui regroupent des villes de plus grande importance.

De même, les sites des régions et départements proposeront des contenus de même nature par rapport aux compétences qui leur sont confiées.

Quelle est l’utilité des contenus des collectivités ?

On a parfois du mal à visualiser en quoi ces différents contenus pourraient revêtir un intérêt pour la veille et la recherche d’information. Et pourtant, les utilisations peuvent être nombreuses...

Exemples :

  • Suivre l’actualité d’une région, d’une commune, ou d’un département (en complément de la presse locale et nationale)
  • Mieux comprendre l’environnement local (économique notamment) et le climat politique avant d’investir ou établir son entreprise dans la région
  • Détecter des opportunités de marchés (via les appels d’offres ou via des signalements de futurs projets)
  • Surveiller un concurrent en analysant sa présence et son implication locale
  • Découvrir et identifier des entreprises innovantes / starts-ups qui n’ont pas encore de visibilité au niveau national ou dont il n’est pas fait mention dans d’autres sources
  • Identifier des projets innovants
  • Découvrir des bonnes pratiques qui pourront être mises en applications dans d’autres communes, régions ou départements
  • Suivre les retombées d’un évènement (concert, exposition, etc.)

Comment atteindre ces informations ?

De plus en plus souvent, les informations existent et sont publiées librement par les collectivités mais le plus difficile reste d’y accéder car certains contenus sont extrêmement mal indexés par les moteurs de recherche et pas du tout mis en avant sur le site de la dite collectivité.

L’un des cas les plus flagrants est celui des délibérations et comptes-rendus de conseil ou bureaux municipaux, communautaires, départementaux ou régionaux. Ces documents regorgent d’informations potentiellement stratégiques et permettent notamment de déceler en amont certains projets, comprendre la politique de la ville, savoir qui a remporté tel ou tel projet ou appel d’offres, etc.

De plus en plus souvent, les collectivités rendent ces documents accessibles en ligne (plus ou moins longtemps après la tenue du conseil en question) mais dans un format quasi inutilisable : un scan du document papier sans océrisation, c’est à dire qu’il s’agit purement et simplement d’une image du document et que le texte n’est pas recherchable ni indexable. Aucun moteur ne pourra donc indexer le contenu de ce document...

Ainsi, si vous recherchez des informations sur un projet en particulier dans une commune en passant par Google ou même par le moteur du site de la commune, il n’y a dans ce cas aucune chance que vous tombiez sur la délibération du conseil municipal traitant de ce sujet. Le seul moyen de l’identifier étant d’éplucher un à un tous les comptes-rendus mis en ligne sur le site.

D’où l’intérêt de ne pas toujours vouloir rechercher directement l’information finale mais de réfléchir aux supports susceptibles de l’héberger.

Pour accéder aux documents/informations publiques d’une collectivité, on pourra procéder de deux manières :

  • soit en recherchant directement une information sur un sujet précis (nom d’un acteur local, nom d’un projet dans les transports par exemple, etc.)
  • soit en recherchant par mots-clés les sources susceptibles d’héberger les informations recherchées (avec des termes comme « délibération », « compte-rendu du conseil », journal, commission, etc.)

On pourra soit passer par Google (qui est souvent bien plus performant que le moteur interne du site de la collectivité) soit par le site de la collectivité (via le moteur de recherche interne ou simplement en naviguant dans le « plan du site », ce qui fonctionne souvent mieux).

Sur Google, on pourra :

  • croiser les termes de la recherche avec le nom précis de la collectivité ou bien utiliser l’opérateur site : qui permet de ne rechercher que sur les pages du site en question indexées par Google.
  • Rechercher des termes dans l’url avec l’opérateur inurl: (inurl:deliberations par exemple).
  • Limiter la recherche aux PDF en utilisant l’opérateur filetype: car les documents de type délibérations ou journaux de communes se trouvent généralement dans ce format.. On pourra coupler les commandes site: et filetype: pour ne rechercher que les PDF sur le ou les sites d’une collectivité précise.

Pour le site de la collectivité, il est très rare que le moteur soit performant et il faut bien être conscient que si l’on ne trouve pas l’information souhaitée par ce biais, cela ne veut absolument pas dire qu’elle n’existe pas. On recommandera plutôt l’utilisation de la rubrique « plan du site » en bas de chaque site Web qui permettra de détecter plus rapidement (que la navigation rubrique par rubrique) à quel endroit se cachent les contenus recherchés.

En règle générale, les journaux des collectivités sont proposés au format PDF ou dans un format feuilletable en ligne (de type Calaméo). Le problème, c’est qu’il est généralement impossible de lancer une recherche sur toutes les archives d’un même journal (comme le ferait un agrégateur comme Pressedd ou Factiva) car le moteur du site n’indexe pas ou mal ce contenu et l’outil de feuilletage ne le permet pas non plus.

Pour pallier cette difficulté, il n’existe pas de solution miracle. On pourra passer par Google ou bien on tentera de « bricoler » une solution maison en téléchargeant toutes les archives du journal au format PDF (à condition qu’il soit recherchable bien sûr) et en utilisant ensuite le moteur interne de son ordinateur...

On le voit bien, les collectivités locales proposent de plus en plus de ressources en ligne et il serait dommage de s’en priver. Ce sont généralement les journaux de la commune, les délibérations de conseil municipal/communautaire ou les travaux des différentes commissions qui apporteront le plus de valeur ajoutée par rapport à d’autres sources comme la presse ou les blogs notamment. Dans un monde de plus en plus compétitif où il faut sans cesse être en alerte et détecter des signaux faibles pour prendre l’ascendant sur ses concurrents et identifier de nouveaux marchés potentiels, les collectivités locales sont une ressource incontournable pour y parvenir, peu importe la région ou le pays visé. Que ce soit un projet d’infrastructure, un projet concernant les transports, l’urbanisme, la santé publique, l’environnement, l’énergie, etc, c’est généralement au niveau local que l’on rencontre les premières traces d’une discussion sur le sujet même si c’est encore informel.

Exemple de méthodologie performante sur une veille stratégique sur la gestion de l’eau à Villeneuve-sur-lot

Prenons maintenant un exemple concret pour bien mettre en évidence l’intérêt de surveiller les ressources des collectivités locales dans un contexte de veille ou de recherche d’informations stratégiques.

Supposons maintenant que nous sommes une entreprise spécialisée dans la gestion de l’eau pour les collectivités comme SAUR ou la Lyonnaise des Eaux en quête de nouveaux marchés en France. Imaginons ainsi que nous ayons identifié une cible potentielle à Villeneuve-sur-Lot, une commune qui a délégué la gestion de l’eau à l’entreprise Véolia Eau depuis près de 20 ans et dont le contrat de DSP (Délégation de service public) se termine en 2017. Nous aurions donc besoin de comprendre le contexte local (aussi bien politique qu’économique), l’avis de la collectivité sur son prestataire actuel, ce qu’ils attendent de leur futur prestataire, etc.

Répondre à un appel d’offres de ce type est un travail de longue haleine et coûteux aussi bien en terme humain que financier et il vaut mieux avoir tous les éléments en main pour avoir une chance de le remporter ou bien de se rendre compte qu’il ne sert à rien de déployer de l’énergie pour un tel projet s’il s’avère « imprenable».

La presse locale est évidemment l’une des premières sources à consulter pour ce type de sujet. En l’occurrence, c’est le quotidien Sud Ouest qui couvre le mieux cette zone géographique. Une recherche sur Google du type « Villeneuve sur Lot » (et ses variantes avec ou sans traits d’union) croisé avec Véolia (avec ou sans accent) nous ramène quelques articles intéressants.

Une recherche dans Pressedd (l’agrégateur de presse qui couvre le mieux la presse française) nous fournit encore plus de résultats pertinents (tous issus de Sud Ouest).

Ces articles nous permettent de remonter sur plusieurs années (nous nous sommes arrêtés en 2010) et de découvrir différents articles sur une négociation entre la commune et Véolia pour faire baisser le prix de l’eau en 2014/2015, des articles récurrents sur le tarif « exorbitant » de l’eau dans cette commune et le mécontentement des habitants depuis 2010, une grève des salariés de Véolia eau en 2012 et plusieurs articles citant des propos des élus en place ou de l’opposition réfléchissant à un système de gestion de l’eau en régie (c’est à dire une gestion publique de l’eau où la collectivité ne fait plus appel à un opérateur privé) dès 2012.

Ces éléments permettent ainsi de mettre en évidence un certain mécontentement à l’égard de l’opérateur historique (ce qui suppose qu’il est peu probable que Véolia soit en mesure de remporter un nouvel appel d’offres) mais également une réflexion récurrente de la part des élus de tous bords vers une gestion de l’eau en régie qui exclut de fait tout opérateur privé. Ces éléments auraient déjà pu faire réfléchir tout opérateur privé qui aurait songé à se lancer dans la course...

Enfin un article du 25 mars 2016 de Sud Ouest qui résume le dernier conseil municipal annonce que « Le syndicat départemental Eau 47, récupérera au 1er janvier 2017 la compétence eau potable pour le centre-ville de Villeneuve. Cette dernière était jusqu’alors confiée par délégation de service public à Veolia. En contrepartie de ces 11700 nouveaux abonnés, le syndicat et la municipalité se sont mis d’accord pour que le prix du mètre cube, actuellement de 2,53 €, baisse à 2 € maximum. (...) Eau 47 s’attachera ensuite à lancer les appels d’offres auprès des distributeurs d’eau, pour une éventuelle DSP, et de chiffrer le coût de création d’une régie, le mode de gestion de la compétence n’ayant pas encore été arrêté. »

En se rendant sur les sites de la commune de Villeneuve sur Lot et de la communauté de communes du Grand Villeunevois, on comprend que la commune est en charge de la gestion de l’eau potable alors que la communauté de communes est en charge de l’assainissement et a délégué cette fonction au SIAAV (Syndicat Intercommunal d’Assainissement de l’Agglomération Villeneuvoise). Ces deux fonctions sont ensuite gérées par un même opérateur, Véolia.

Sur le site de la commune, on trouve les délibérations du conseil du 24 mars 2016 qui donne beaucoup plus de détails que l’article de Sud Ouest sur le transfert de la compétence eau potable à Eau 47. Pour savoir s’il a déjà été question de la gestion de l’eau lors des précédents conseils municipaux, il faut consulter un à un les fichiers des OK délibérations sur le site car la commune a parfois mis en ligne un PDF recherchable et parfois a juste scanné un document papier ce qui rend impossible la moindre recherche.

De même le journal de la commune apporte des informations complémentaires à ce que nous avions pu trouver dans la presse locale. Les archives proposées en ligne ne remontent qu’à 2015 et le magazine est disponible au format PDF ou feuilletable en ligne. Pour effectuer une recherche dans les archives sans avoir à consulter chaque numéro un par un, nous avons utilisé la stratégie suivante dans Google :

  • Site: http://www.ville-villeneuve-sur-lot.fr inurl:vav veolia OR véolia OR eau

Vav étant le nom de la publication qui apparaît systématiquement dans l’url.

Google nous annonce alors 7 résultats mais indique en bas de page qu’il a omis les résultats similaires. En relançant la recherche sur les résultats omis, nous avons alors 9 résultats.

Autre possibilité un peu plus « bricolage », télécharger les fichiers PDF du journal sur son ordinateur puis lancer une recherche dessus depuis le moteur interne de son ordinateur !

Le site de la commune nous a également permis de comprendre que la ville était très endettée et faisait partie des nombreuses communes qui avaient souscrit des emprunts toxiques il y a quelques années. Enfin, un petit tour sur le site du syndicat en charge de l’assainissement a permis de découvrir le rapport annuel 2014 qui contient de nombreuses données chiffrées.