Géolocalisation : peut-on faire une recherche « neutre » avec Google et par quels moyens ?

Fabrice Deprez
Netsources no
123
publié en
2016.07
917
Acheter ce no
Tags
Google | géolocalisation | méthodologie
Géolocalisation : peut-on faire une recherche « neutre » ... Image 1
Géolocalisation : peut-on faire une recherche « neutre » ... Image 1

Longtemps ignorée du grand public, la personnalisation constante des résultats par les plus importants moteurs de recherche, Google au premier chef, est maintenant très largement intégrée dans l’esprit de chacun, prenant même une place centrale dans le débat public concernant les problématiques de respect de la vie privée.

Google, comme d’autres géants du web, utilise chacune de nos recherches pour établir un profil qui permettra ensuite à l’entreprise de proposer des publicités personnalisées, mais aussi d’adapter les résultats de recherche afin qu’ils soient les plus « pertinents » possible.

Pourtant, au-delà de la question de la vie privée, certains activistes et professionnels de l’information se sont inquiétés de la création d’une « bulle » autour de l’internaute, les résultats de recherche s’adaptant au fur et à mesure pour ne proposer au final à l’internaute que ce qu’il veut lire, évacuant des résultats potentiellement intéressants mais que le moteur de recherche aurait jugé non-pertinents.

Une autre caractéristique de plus en plus influente dans les recherches sur Google mais aussi de manière plus large sur l’ensemble des grands réseaux sociaux est l’importance accordée à la géolocalisation.

Si FourSquare, l’application américaine offre un système de « check-in » permettant de se localiser dans différents endroits et ainsi d’indiquer à ses amis où l’on se trouve, a fait office de précurseur en plaçant la géolocalisation au premier plan, celle-ci s’est ensuite étendue à tous les réseaux sociaux.

Google a très vite suivi : il est ainsi possible (en se rendant sur la page « https://www.google.com/maps/timeline?pb») de visualiser sur une carte tous les endroits depuis lesquels une personne s’est connectée à son compte Google en ayant un système de géolocalisation activé (ce qui est presque toujours le cas sur smartphone). Et Google a depuis longtemps appliqué cela aux recherches elles-mêmes : exemple le plus commun, rechercher simplement « pizzeria » remontera systématiquement des résultats relatifs à l’endroit où l’on se trouve.

Cette situation peut poser problème au professionnel de l’information qui a besoin d’effectuer une recherche neutre et « objective » , ou qui veut savoir quels résultats obtiennent d’autres personnes sur une requête précise., La personnalisation des résultats, personnalisation géographique notamment, représente alors un véritable obstacle.

Plusieurs méthodes existent heureusement pour simuler une recherche effectuée dans une autre région (une fonction que Google proposait autrefois directement dans ses outils de recherche mais qui a fini par être supprimée, car trop peu utilisée). Au-delà de Google, plusieurs moteurs de recherche aspirent aussi à offrir à l’utilisateur une expérience aussi « neutre » que possible, un objectif de plus en plus difficile à atteindre.

Peut-on faire une recherche « neutre » ? : le cas du mode incognito et des VPNs

Passer en mode incognito est une méthode souvent proposée par les internautes pour réaliser une recherche « neutre » du point de vue de la localisation : le mode « incognito » (c’est le terme employé par Chrome, le navigateur de Google, mais tous les grands navigateurs disposent aujourd’hui d’un mode équivalent : on parlera ainsi de mode « vie privée » sur Firefox) ne sauvegarde ni l’historique de recherche ni les cookies, et permet de surfer de manière plus discrète.

Néanmoins, il s’avère sans effet quant à l’influence de la localisation sur la recherche. Ainsi, en réalisant une requête «BNP Paribas » (une banque française), la recherche en mode normal mais aussi en mode incognito amène Google à proposer des établissements proches de l’emplacement de l’internaute. Le résultat est le même en réalisant la même recherche sur le navigateur Firefox, qu’il s’agisse du mode normal ou du mode « vie privée ». Le mode incognito n’a donc pas d’influence sur la géolocalisation.

Ce résultat n’est pas une surprise : Google se sert en effet de l’adresse IP pour faire une estimation de l’emplacement de l’utilisateur (loin d’être aussi fiable que des données GPS, elle permet tout de même de savoir avec certitude le pays et même la région d’origine). Or cette adresse IP ne disparaît pas lorsque l’on se place en mode incognito.

Il est certes possible de masquer son adresse IP, notamment en ayant recours à des VPN (Virtual Private Network) : ce système permet de créer un réseau qui va connecter plusieurs ordinateurs comme s’ils étaient connectés au réseau local. Le VPN, doublé d’un système de chiffrement de données, est largement utilisé dans un but de protection de l’utilisateur car il permet de masquer l’adresse IP et donc le lieu de connexion de l’internaute.

Néanmoins, un VPN ne permettra pas de réaliser une recherche « neutre », c’est-à-dire dépourvue d’influence géographique : la notion d’adresse IP ne disparaît pas en effet, l’adresse d’origine est simplement remplacée par une autre adresse basée ailleurs sur la planète. Une recherche Google prendra alors en compte cette adresse, ce qui continuera d’influencer les résultats de recherche, mais d’une manière différente : si un français se voit attribuer une adresse IP basée au Brésil par un VPN, Google (et tous les autres services utilisant la géolocalisation) fournira plus de résultats sur le Brésil.

Utiliser la version locale du moteur de recherche

Autre technique de base pour modifier la localisation de sa recherche : utiliser la version locale du moteur de recherche. Par exemple, pour une recherche sur le Danemark, on peut se rendre sur « www.google.dk »1.

Ici, les résultats sont mitigés. Une recherche « BNP Paribas » sur Google Danemark ne donne que des résultats en français, mais fait disparaître la carte au sommet des résultats de recherche montrant les établissements autour de nous. Le site de la branche danoise de la banque n’apparaît pas dans les premiers résultats de recherche, mais, étonnamment, les sites des branches belges (en flamand) et algériennes apparaissent, alors qu’on ne les retrouve pas lorsque l’on effectue une recherche standard.

Une autre recherche a contrario met en évidence que l’utilisation de la version locale du moteur modifie véritablement les résultats des recherches, sans pour autant les débarrasser totalement d’influence géographique : réalisée sur google.fr, la requête « Lars Løkke Rasmussen » (l’actuel premier ministre danois) fait remonter d’abord trois pages Wikipédia en français, puis une page Wikipédia en anglais, en enfin des pages en danois (à l’exception des pages Twitter et Facebook du premier ministre). Sur google.dk, le premier résultat est toujours la page Wikipédia en français, mais le reste change : on retrouve ensuite la page Wikipédia en anglais, puis des résultats en danois. Surtout, la recherche réalisée sur google.dk fait aussi remonter le « CV » du premier ministre publié sur le site officiel du bureau du premier ministre danois, une page pourtant en anglais mais qui n’apparaît pas dans la première page de la recherche effectuée sur google.fr.

Recherche sur la version française de Google vs la version danoise de Google

Utiliser les fonctionnalités avancées des moteurs

La recherche avancée proposée par Google permet de spécifier un territoire particulier, ce qui donne des résultats assez intéressants, mais qui diffèrent eux mêmes en fonction de la version du moteur utilisée. Pour cela, on entrera sa recherche dans Google et une fois la liste des résultats affichée, on cliquera sur la roue apparaissant à droite du moteur. On choisira alors « Recherche Avancée / Advanced search » et on pourra sélection le pays de son choix avec l’option Région.

Ainsi, la recherche « BNP Paribas » sur google.fr, mais spécifiant « Danemark » en tant que territoire place le site de la filiale danoise de la banque en premier résultat. Lorsque la même recherche est effectuée avec google.dk, c’est le site de la branche danoise de « BNP Paribas Cardif » (la compagnie d’assurance de la banque) qui apparaît en premier. Les résultats sont ensuite relativement similaires, à l’exception du site de la chambre de commerce franco-danoise, qui apparait en quatrième résultat avec google.fr, mais n’apparait pas du tout avec google.dk.

Les solutions dédiées

Redfly SEO Global For Google Search

Ce module, disponible uniquement sur le navigateur Firefox, permet d’automatiser les techniques présentées ci-dessus, notamment en effectuant directement des recherches dans les différentes versions locales de Google. Le module présente d’entrée la possibilité d’effectuer des recherches centrées sur plusieurs pays anglophones (Etats-Unis, Royaume-Uni, Irlande, Canada), mais il est possible d’ajouter n’importe quel pays à partir du moment où celui-ci dispose d’un domaine sur Google.

Le module peut être téléchargé à cette adresse : https://mzl.la/2bsjOGU

I Search From

Ce site internet (accessible donc avec n’importe quel navigateur, y compris sur mobile) permet de simuler une recherche non seulement une spécifiant un pays et une langue, mais aussi l’appareil (par exemple, un téléphone Android). Là encore, spécifier le pays revient simplement à interroger la version locale de Google.

Néanmoins, « I Search From » propose quelques options supplémentaires intéressantes, comme la possibilité de ne chercher que des pages provenant d’un pays en particulier. En activant cette option, Google ne sélectionnera que les pages chargées depuis le serveur du pays spécifié. Cette option, qui permet d’obtenir les résultats les plus « locaux » (mais pas forcément ceux qu’un local verrait en premier, la différence est notable) est, au vu des résultats sur une recherche « BNP Paribas » équivalente au fait de spécifier le pays dans la recherche avancée de Google, tout en faisant la recherche sur le domaine danois (google.dk).

Passer par « I Search From » rend néanmoins la recherche plus aisée et intuitive, puisqu’il s’agit d’une simple case à cocher plutôt que d’une liste de pays à faire défiler.

Autre option très intéressante, la possibilité de spécifier jusqu’à la ville : ainsi, une recherche « BNP Paribas » centrée sur l’Allemagne et spécifiant la ville de Francfort permet d’obtenir une liste d’établissements bancaires dans cette ville. Il existe cependant un bémol, la fonction n’est pas disponible pour tous les pays (en Europe, le Danemark, la Russie, l’Estonie, la Lettonie, la Lituanie, la Suède ou encore la Belgique ne permettent pas de faire des recherches par ville).

Tirer parti de Google AdWords

Google Adwords

AdWords est l’un des plus importants acteurs de l’empire Google : il s’agit de la régie publicitaire qui se charge de vendre les emplacements visibles dans les résultats de recherche. Ces bannières publicitaires s’affichent en fonction bien sûr des mots entrés par l’internaute dans la barre de recherche, mais aussi en fonction de son profil et de son comportement sur internet.

AdWords offre un petit service gratuit aux publicitaires permettant de « tester » un mot-clé pour voir le type de résultats que cela donnera et donc, ce que verra s’afficher un potentiel client. Pour le spécialiste de l’information, ce service offre l’avantage de pouvoir spécifier une localisation (de manière précise, fonctionnant jusqu’au niveau de la ville) ainsi qu’un nom de domaine.

Et si les résultats fournis sont similaires à ceux proposés par les outils présentés précédemment, le service d’AdWords offre l’avantage de dépendre directement de Google et non d’une société tiers, ce qui est une garantie supplémentaire de sa fiabilité. Néanmoins, l’inconvénient est qu’il s’agit bien d’une « prévisualisation », c’est-à-dire qu’il n’est pas possible de cliquer sur les résultats.

L’outil est disponible à cette adresse : http://bit.ly/2b7SHmP

S’extraire de Google ?

Le respect de la vie privée sur internet étant devenu ces dernières années un sujet de plus en plus important, de nombreuses sociétés cherchent aujourd’hui à s’implanter dans la niche de la « recherche neutre » en proposant des moteurs de recherche qui, contrairement à Google, ne modifient pas les résultats en fonction du profil de l’utilisateur ou de son emplacement (c’est du moins leur promesse, qui peut parfois être difficile à vérifier).

Le plus célèbre d’entre eux, DuckDuckGo (duckduckgo.com), permet de très simplement filtrer une recherche par pays, mais ne permet pas de réaliser une recherche 100% « neutre » : bien qu’il anonymise et fasse en sorte que l’information ne puisse pas être récupérée par des tierces parties, DuckDuckGo prend en effet en compte l’adresse IP de l’internaute (taper « weather » permettra ainsi d’obtenir le temps dans la ville où l’on se trouve).

Même en désactivant la fonction de filtrage par pays, DuckDuckGo continue de prendre la localisation en compte : ainsi, la requête « Wells Fargo » (une banque américaine qui n’est pas présente en France) fait remonter en premier résultat la page Wikipédia de la banque en français.

Tandis que DuckDuckGo (duckduckgo.com) met en avant le respect de la vie privée, Unbubble (unbubble.eu) est un méta-moteur de recherche qui vante avant tout sa neutralité. Unbubble analyse les résultats de plusieurs moteurs de recherches lors d’une même requête en fonction de leur neutralité, et propose les résultats les plus neutres. Le moteur de recherche d’où est tiré le résultat est d’ailleurs indiqué à côté de chaque réponse.

Au vu des tests que nous avons effectués, Unbubble ne semble effectivement pas prendre en compte l’emplacement de l’utilisateur dans ses résultats : la requête « Wells Fargo » ne propose ainsi aucun résultat en français dans la première page. Le test est aussi concluant avec la recherche « BNP Paribas », dont les résultats ne semblent là aussi pas impactés par l’emplacement de l’utilisateur (avec les sites des filiales roumaines, belges, britanniques et américaines qui apparaissant dans la première page) et gardent une bonne pertinence.

Le cas spécifique des actualités

La question de la géolocalisation se pose également pour la recherche d’actualités en utilisant les outils dédiés des moteurs comme Google News / Google Actualités. Pour ce dernier, les résultats varient considérablement en fonction de la langue de l’interface choisie et de la version de l’édition choisie.

Nous avons ainsi effectué un test en utilisant la même requête sur Google France (en choisissant tantôt l’interface en anglais, tantôt en français) et Google UK (en alternant la langue de l’interface entre le français et l’anglais). Dans chacun des cas, les résultats sont différents.

Rappelons qu’il est possible de changer la langue de Google dans les paramètres de recherche. Il est ainsi possible d’interroger Google France avec une interface en langue anglaise (tous les champs et menus sont alors en anglais), en français ou même en allemand, espagnol, etc.

La première méthode pour interroger l’actualité consistait donc à entrer la requête dans Google puis à cliquer sur l’onglet actualités

  • Google France avec une interface en français : les résultats en français sont mis en avant et on ne trouve aucun article dans une autre langue avant le 20e résultat
  • Google France avec une interface en anglais : sur les 100 premiers résultats, un seul est issue de la presse française
  • Google UK avec une interface en français : les 5 premiers résultats sont en français et par la suite, les résultats alternent entre des articles en anglais et des articles en français
  • Google UK avec une interface en anglais : les cent premiers résultats sont tous en anglais.

Dans un second temps, nous avons choisi d’interroger Google News depuis son interface dédiée (https://news.google.fr) et non depuis l’interface générale de Google. Sur l’interface de Google actualités, on peut ensuite choisir l’édition que l’on souhaite voir apparaître (UK, France, Allemagne, etc) et effectuer la recherche sur cette édition.

  • Edition UK de Google actualités : les résultats se rapprochent de ceux identifiés lors de la recherche sur la version anglaise du moteur avec l’interface en anglais mais l’ordre des résultats n’est pas strictement identique
  • Edition France de Google Actualités : les résultats se rapprochent de ceux identifiés lors de la recherche sur la version française du moteur avec l’interface en français mais l’ordre des résultats n’est pas identique et certains articles non identifiés précédemment surgissent en tête des résultats.

Conclusion

Même si l’idée d’une recherche complètement neutre tient aujourd’hui plus de la chimère que d’une perspective réaliste, il existe néanmoins de véritables solutions aussi bien pour effectuer des recherches du point de vue d’une personne située à l’autre bout de la planète que pour tenter de retirer, autant que possible, l’effet de la personnalisation des recherches. Des solutions à garder en tête alors que l’importance de la géolocalisation dans les recherches ne va probablement faire que s’amplifier dans les années à venir.


  • 1Il arrive parfois que Google rebascule automatiquement sur la version française du moteur. Il faudra donc bien vérifier que ce n’est pas le cas et reproduire l’opération plusieurs fois au cas où cela se produirait.