Sourcing : peut-on faire l’impasse sur les recherches en langue locale ?

Anne-Marie Libmann
Netsources no
146
publié en
2020.05
1256
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sourcing veille
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La maîtrise de l’anglais et du français peut sembler suffisante à un internaute français pour avoir le sentiment de couvrir ses besoins en recherche ou veille d’information.

Il est vrai qu’avec ces deux langues, et l’anglais en particulier, l’internaute peut avoir une première réponse, a priori satisfaisante, à ses besoins de recherche ou de veille sur un grand nombre de sujets. En 2017, certaines études situaient à plus de 50 % la domination de l’anglais sur le web.

À supposer que cette domination soit encore réelle, la vraie «langue d’internet» faisant l’objet de beaucoup de débats, tant le décalage avec l’origine réelle des internautes est de plus en plus évident, il semble difficile de se contenter de l’accès aux ressources anglo-saxonnes et francophones du web (hors bien sûr des pays de langue anglaise) dès que le sujet de veille ou de recherche devient un tant soit peu stratégique, l’enjeu ne permettant pas de rester à ce niveau de surface.

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En effet, la précision et l’exhaustivité requises pour la réponse, dans ce cas, deviennent alors des critères de performance incontournables et l’on est bien obligé de sortir de sa zone de confort pour aller sur le terrain de la recherche en langue locale, condition sine qua non pour acquérir le niveau de connaissance satisfaisant.

La décision d’aller investiguer sur le «terrain linguistique local» n’est pas neutre, car elle nécessite un véritable effort en termes de temps et de moyens, à la fois au niveau du sourcing, de l’élaboration des requêtes dans une langue inconnue, ainsi que du traitement pas toujours aisé des résultats pour lesquels une traduction « à la volée » grâce à des traducteurs automatiques devra être complétée par une interprétation précise des données.

Avant de s’engager sur cette voie, il est très utile d’évaluer, au démarrage d’une recherche ou d’une veille, les ressources locales potentielles susceptibles de répondre à une problématique donnée. Les analyses des tests obtenus lors de ces évaluations permettront dans une première étape d’arbitrer sur la nécessité d’investir dans des recherches en langue locale.

Dans chaque pays, et on le voit notamment à travers le cas de l’Afrique dans l’article «Les outils professionnels de recherche suffisent-ils pour investir une zone géographique réputée difficile ?», la langue de publication des données et informations de type économique, scientifique, ou politique est liée à un certain nombre de facteurs historiques et culturels, à des stratégies d’influence du pays ou à son positionnement dans le contexte de mondialisation.

À titre d’exemple, un certain nombre de pays du Moyen-Orient, en voie de mondialisation assumée, vont de plus en plus publier en anglais. Inversement, le facteur d’attractivité du pays va engendrer l’intérêt de médias internationaux dont la langue, domination économique oblige, est l’anglais. Il est tout à fait probable par ailleurs que l’on puisse trouver beaucoup de contenus en chinois sur l’Afrique, en raison du nombre d’investisseurs chinois sur ce continent, en particulier sur le secteur minier qui se trouve dans l’orbite stratégique de la Chine.

Car la composante secteur ou marché nous semble fondamentale dans l’évaluation de l’équilibre anglais/langue locale par rapport à une problématique donnée.

On remarque que, de façon générale, un secteur à «audience locale» tel que l’assurance est essentiellement couvert dans chaque pays par des sources en langue locale. Alors que celui de l’aéronautique et de la défense, y compris pour des zones complexes comme le Moyen-Orient, où ce type de presse sectorielle est très peu présente, est très bien couvert par les sources anglo-saxonnes internationales.

Autre exemple, dans le domaine scientifique, et en particulier celui des brevets, qui est par définition d’intérêt général en raison des enjeux d’antériorisation, certains offices de brevets et les serveurs spécialisés ont fait un effort considérable de traduction des brevets de tous pays vers la langue anglaise grâce aux nouvelles technologies de traduction de plus en plus performantes.

Face à un sujet de veille ou de recherche, on essayera de mener une évaluation la plus complète possible des différents types de médias qui finalement donneront une représentation de ce rapport anglais (et français) /langue locale. Nous pouvons suggérer trois indicateurs clefs pour ce faire :

  • L’examen, dans le pays ciblé, des sites web des principaux acteurs du marché/secteur sur lequel porte la recherche : on regardera si la majorité des sites locaux sont également disponibles en anglais et s’il y a sensiblement les mêmes informations sur les deux versions ;
  • Des tests de mesure sur la langue de la presse économique du pays : ici les agrégateurs de presse sont assez incontournables, car ils permettent une évaluation assez précise des contenus locaux et anglo-saxons sur une zone donnée. On couplera ces tests avec les recherches dans les nombreux répertoires de sources par pays sur le web ;
  • L’identification de sources de référence en anglais et en langue locale et la comparaison des contenus sur le sujet traité afin de voir s’il y a des informations clés disponibles uniquement en langue locale.

Évaluer le succès potentiel d’un investissement dans la recherche en langue locale est une équation complexe : on pondérera les considérations d’ordre géopolitique, culturel, économique avec les résultats objectifs des tests menés à partir des indicateurs suggérés ci-dessus en prenant en compte également les résultats des premières requêtes formulées en langue anglaise (et française) sur le sujet en question.

On constate une fois de plus au cours de ce dossier que la veille et la recherche en territoire inconnu demandent beaucoup d’itérations, de déductions et de créativité, mais que les enjeux de plus en plus internationaux des entreprises nous obligent à intégrer un niveau de recherche de plus en plus avancé et offensif.