La veille «médias» en 2021 : à la conquête d'un champ complexe et diversifié

Carole Tisserand-Barthole
Netsources no
150
publié en
2021.02
1454
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veille medias | tendances
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On associe généralement la veille et la recherche d’information médias au triptyque classique : presse, radio, TV.

Pourtant, il n’est plus possible aujourd’hui d’envisager la veille médias sous ce seul prisme. Derrière le terme « médias d’information » se cache de multiples réalités.

Ce dossier NETSOURCES porte sur la veille médias au sens large, englobant la multiplicité des contenus que l’on est capable d’appréhender et de surveiller aujourd’hui.

En effet, nous avons souhaité rendre compte de la complexité que peut revêtir actuellement la surveillance de tout le contenu médiatique disponible, sur le web, les réseaux sociaux, l’audiovisuel et le traditionnel print qui continue à désigner la presse écrite, même lorsqu’elle est mise en ligne.


Lire aussi :

 Le retour en grâce de la newsletter 
 Substack ou le symbole du retour en force des newsletters pour la veille 


  • Tout d’abord, la veille médias n’explore plus seulement les seuls organes de presse écrite, radio et TV.
  • D’autre part, ces dernières années, la multiplication et la diversification des formats sont venues changer la donne, à tel point que les frontières et spécificités entre chaque type de médias semblent s’estomper peu à peu.

Pour compliquer encore les choses, quand on parle de veille ou de recherche d’informations médias, on se rend vite compte que chacun y va de sa définition personnelle. Certains sous-entendent toute la diversité des supports de diffusion de l’information et finalement une veille médias n’est ni plus ni moins qu’une gigantesque veille multisupports. Et d’autres lui confèrent un angle très spécifique : celui des médias d’informations uniquement, c’est-à-dire, la presse, la télévision et la radio.

Pour faire une «veille médias» en 2021, il va falloir prendre en compte une pluralité de dimensions et de formats. Cela passe par l’analyse des tendances et nouveautés qui viennent bousculer le paysage médias tel que nous le connaissions.

C’est ce que nous aborderons dans le premier article de ce numéro de NETSOURCES entièrement consacré à la veille et la recherche d’information appliquée aux médias.

Les médias d’information aux mille visages

Avant de nous lancer dans l’analyse des évolutions et la description du paysage médiatique actuel, il convient de s’entendre sur la définition exacte du terme « médias » et ce qu’il englobe aujourd’hui.

Tous les dictionnaires s’accordent sur la définition du terme médias : il s’agit de tous les supports de diffusion de l’information. Cela inclut donc aussi bien la presse, la télé, la radio, le cinéma, les livres, Internet, etc.

Nous avons choisi de nous focaliser exclusivement sur les « médias d’information » en considérant que ces médias sont essentiellement produits par des journalistes, publient des contenus qui ont un intérêt pour le public, sont factuels et autant que possible vérifiés. Cela inclut donc la presse écrite et web, la radio, la télévision mais aussi de nouveaux médias d’information produits par des journalistes indépendants comme par exemple les newsletters ou les podcasts d’information.

Quand on fait de la veille et des recherches d’information sur les médias d’information en 2021, il faut bien avoir en tête qu’il y a aujourd’hui une très grande diversité de formats et de produits d’information.

  1. Un même média peut proposer différents produits d’information complémentaires (articles de presse classiques mais aussi podcasts, newsletters, etc.) qui ne se trouveront pas tous nécessairement dans les outils de recherche et de veille.
  2. Des médias peuvent exister uniquement sous un format non traditionnel comme au format podcast ou uniquement sur les réseaux sociaux et ne sont pas facilement intégrables à la recherche d’information et la veille.

C’est ce que nous avons représenté dans l’infographie « Diversité des produits d’informations médias » (voir figure 1.).

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Diversité des produits d’informations médias (figure 1.)

On y retrouve les formats classiques comme les articles et les émissions mais aussi les formats plus en vogue comme le podcast, les newsletters, les contenus vidéos. On n’oubliera pas non plus l’existence de produits plus confidentiels. On peut en effet voir parfois :

  • la création de bases de données et mise à disposition de datasets par des journalistes - Le journal Libération a par exemple déposé récemment sur la plateforme data.gouv.fr un jeu de données sur les sanctions disciplinaires dans la police ;
  • des prestations de veille et d’étude (le groupe Ouest France propose par exemple depuis quelques années une solution de veille sur les titres de presse de son groupe appelée Panorapresse).

L’explosion des nouveaux formats journalistiques

L’année 2020 et les premiers mois de l’année 2021 ont été marqués par le développement de nouveaux formats journalistiques ou pour certains d’une remise au goût du jour de formats tombés en désuétude.

Ce qui change surtout, c’est que ces nouveaux formats ne sont plus qu’une simple copie reformatée de ce qui est publié dans un journal ou une émission de radio / TV. Il s’agit bel et bien de contenus exclusifs ou complémentaires et donc à vraie valeur ajoutée pour la veille et la recherche d’information.

Le retour de la newsletter

Le format qui fait son grand retour en ce début d’année 2021 est la newsletter (après un retour plus timide depuis 2019. La grande nouveauté de la newsletter en 2021, c’est qu’elle peut être monétisée, même si, en réalité, seules quelques têtes d’affiches arrivent à générer de réels revenus avec ce type de produit.

Il y a tout d’abord le développement de plateformes de newsletters comme Substack, Lede ou Ghost où les internautes peuvent créer leurs newsletters et les monétiser. Ces plateformes séduisent de nombreux journalistes, notamment aux Etats-Unis.

Voir notre article « Le retour en grâce de la newsletter » dans NETSOURCES n°138 de février 2019
Voir le billet de blog sur le site bases-netsources.com « Substack ou le symbole du retour en force des newsletters pour la veille »

Les titres de presse traditionnels proposent également de plus en plus de newsletters thématiques. On pensera par exemple au New York Times qui ne propose pas moins de 70 newsletters. En France, le Figaro a lancé récemment 8 nouvelles newsletters thématiques réservées à ses abonnés.

Et les derniers en date à se lancer dans les newsletters ne sont autres que les Gafam.

  • Twitter a racheté en ce début d’année Revue, un service de création de newsletters et l’a intégré à son service dans la foulée. Le service de newsletters est gratuit, mais c’est l’occasion pour les créateurs de monétiser leurs écrits. Les éditeurs toucheront 95% des revenus générés et Twitter a indiqué qu’il prélèverait les 5% restants.
  • Facebook travaillerait également à l’intégration des newsletters dans sa plateforme.
  • Afin d’attirer une nouvelle communauté et de satisfaire ses propres utilisateurs, LinkedIn a aussi rajouté récemment une option newsletter mais qu’il n’est pas possible de monétiser.

L’essor de l’audio

L’audio continue son ascension et pas seulement du côté des podcasts.

Le marché des podcasts est en train de se structurer avec des regroupements entre différents acteurs. Radio France par exemple s’est récemment associé à l’INA, Arte, RFI et France Télévisions et veut faire de son appli le « lieu de référence de l’audio public ».

  • Clubhouse : Mais ce dont on parle le plus en ce début d’année, ce sont les réseaux sociaux audio et notamment Clubhouse. Lancé en mars 2020, Clubhouse est un réseau social 100% vocal où les utilisateurs se regroupent dans des salles de discussion pour discuter de thématiques variées.
  • Dans la même veine, Facebook avait lancé il y a quelques mois Messenger Rooms, des espaces de discussion mais cette fois-ci en visioconférence. Twitter quant à lui va lancer ses Spaces, des espaces de discussion audio.

Pour autant, il semblerait que ces espaces de discussion ne soient pas pour le moment un terrain de jeu prisé par des journalistes mais plutôt par des entrepreneurs et personnalités politiques.

Vidéo : les médias à l’assaut des réseaux sociaux

La vidéo continue à être un format très utilisé par les médias d’information qui explorent néanmoins de nouveaux territoires.

  • TikTok : En ce début d’année, il est surtout question de TikTok, que les médias investissent de plus en plus pour toucher un public plus jeune. On constate néanmoins qu’il s’agit ici surtout de la même information mais dans un nouveau format.
  • L’autre tendance du moment est la plateforme Twitch, un service de streaming vidéo surtout orientée jeux vidéo qui est de plus en plus investie par les médias, encore une fois pour toucher un public jeune. Le journaliste Samuel Etienne a récemment beaucoup contribué à sa mise en valeur en proposant chaque jour une revue de presse (avec un format très long de plus d’une heure) où il peut interagir en direct avec les internautes grâce aux fonctionnalités de messagerie instantanée. D’autres médias essayent également de proposer de nouveaux produits d’information dans la plateforme.

Les lives et stories sur les réseaux sociaux continuent également de se développer.

Des médias traditionnels qui explorent une multitude de formats

Les médias d’information dits « traditionnels » regroupent la presse écrite puis plus tard web (presse nationale, locale, spécialisée, agence de presse, etc.), la télévision et la radio et par la suite les WebTV et les Webradios.

Pendant longtemps, chacun de ces médias se focalisait sur son cœur de métier et son format natif : la presse produisait essentiellement des articles de presse papier ou web, la radio/TV produisait des émissions de radio et de TV et les nouveaux médias se concentraient sur le format qui les avait fait connaître. Mais aujourd’hui, ce n’est plus aussi simple.

De nombreux médias explorent de nouveaux formats, en dehors de leur champ traditionnel. Et cela va bien au-delà du simple reformatage des informations. Il s’agit de plus en plus de nouveaux produits d’information avec une vraie valeur ajoutée proposant des contenus exclusifs ou a minima complémentaires aux produits traditionnels (articles, émissions, etc.). Cela vient directement impacter la veille et la recherche d’information car ce sont des produits que l’on ne retrouve pas ou peu dans les outils de recherche traditionnels.

  • Le Figaro par exemple, propose des contenus traditionnels avec sa version papier et ses contenus web mais il propose également de nombreux autres contenus : la rédaction propose également des podcasts, des newsletters, des vidéos en live, etc. Et si les contenus traditionnels se retrouvent sur des outils de recherche classiques comme les moteurs d’actualités et les agrégateurs de presse professionnels, ce n’est pas le cas de tous ces « produits dérivés » qui peuvent pourtant apporter des informations complémentaires.
    Le podcast du Figaro « Passez-moi le journaliste ! » se définit par exemple comme un produit qui permet d’enrichir « une info parue sur le site du Figaro ». A partir des commentaires et questions postés sous l’article, la journaliste en charge du podcast sollicite l’auteur de l’article initial pour qu’il y réponde et apporte des éclaircissements supplémentaires.
  • Du côté de la presse professionnelle, l’Usine Nouvelle par exemple a récemment fait évoluer son offre avec des chroniques, des benchmarks étrangers, des webinars, des podcasts, des vidéos, des infographies, des études de marché et des indices, des clubs et think tanks pour les lecteurs, etc.

Les « nouveaux » médias d’information : du positionnement unique à la diversité des produits

Face à l’émergence de nouveaux formats journalistiques, on a pu voir apparaître au cours des dernières années de « nouveaux » médias d’information (qui ne sont plus si nouveaux pour certains mais qui se démarquent des médias d’information traditionnels) qui ne sont ni véritablement de la presse écrite ou web ni de la télévision, ni de la radio. Ces acteurs ont choisi de se lancer uniquement sur des canaux spécifiques : réseaux sociaux uniquement, newsletters ou podcasts seulement.

  • Il y a tout d’abord eu dans les années 2000/2010 la vague des pure players, c’est-à-dire des sites d’information exclusivement présents sur le web et qui ne dépendaient pas de titres de presse traditionnels ; c’est le cas de Médiapart, Slate ou encore Arrêt sur images. Vers 2015, on a pu voir une seconde vague de lancement de pure players, notamment des acteurs spécialisés sur l’actualité et les investigations locales comme Mars Actu, un journal en ligne qui traite de l’actualité de Marseille et ses environs.
  • Sensiblement à la même époque, on a pu voir l’émergence de médias qui sont venus s’affranchir du traditionnel site d’informations en proposant leurs contenus sous un format ou via un canal bien spécifique. On pensera par exemple à Brut, un média 100% vidéo diffusé sur les réseaux sociaux, Brief.me, une newsletter qui résume l’actualité essentielle du moment. De nouveaux acteurs continuent à voir le jour et surfent sur les nouveaux formats du moment : on pensera par exemple à Mediarama, un média qui explore les innovations et tendances des médias uniquement au format podcast.
    Une des tendances que l’on peut observer chez ces acteurs, c’est qu’une fois qu’ils ont réussi à se faire une place dans le paysage médiatique, ils commencent à leur tour à explorer d’autres formats (classiques ou nouveaux). Brut, par exemple, qui était au départ 100% vidéo sur les réseaux sociaux a lancé un site web et une application en 2019 (avec les mêmes contenus que les réseaux sociaux) et des podcasts en partenariat avec Spotify en 2020. Certains sujets sont exclusifs au format audio, d’autres sont simplement des adaptations de vidéos déjà publiées par Brut.

Faire de la veille et des recherches d’information sur les médias d’information en 2021, c’est donc être confronté à une multitude de formats et de produits.

Conclusion

Ces produits journalistiques n’ont pas tous la même valeur : certains ne sont qu’une redite de ce qui existe déjà dans un autre format. Ce qu’il faut réussir à capturer, c’est le contenu exclusif que l’on ne peut pas retrouver ailleurs. Et là est toute la difficulté.

Au-delà du contenu exclusif, ces formats alternatifs, souvent synthétiques peuvent présenter l’avantage d’être plus facilement assimilables pour les destinataires de la veille ou de la recherche.

De plus, il faut bien avoir conscience que l’on ne peut pas rechercher et faire de la veille de la même manière sur ces différents produits journalistiques. Certains sont très bien intégrés aux outils de recherche et de veille classique, d’autres en sont complètement absents. Et l’on ne peut pas appliquer la même stratégie à des contenus écrits qu’à des contenus audio et vidéos.

Comment faire concrètement pour embrasser cette diversité, pour les intégrer à la veille et la recherche d’information ? C’est ce que nous abordons dans les autres articles de ce numéro.