Savoir utiliser les publications défensives dans une stratégie brevet

François Libmann
Bases no
403
publié en
2022.05
1516
Acheter ce no
Tags
brevets
Savoir utiliser les publications défensives dans une ... Image 1

Les publications défensives sont nées à la toute fin des années 1950, c’est-à-dire avant l’apparition des banques de données brevets et même des banques de données tout court.

On les appelle aussi « defensive publications », « technical disclosures » ou encore « defensive disclosures » en anglais.

Il était alors beaucoup plus difficile qu’aujourd’hui de trouver de l’art antérieur (prior art en anglais) qui n’était disponible que sous forme papier.

Cette notion d’art antérieur fait référence aux informations et documents publiés antérieurement au dépôt d’un brevet, connus du public en général et qui peuvent affecter de près ou de loin la « brevetabilité » d’une invention.


Lire aussi : 

Déterminer la valeur d’un brevet : des outils stratégiques pour l’entreprise
Minesoft change d’échelle
OMPI (Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle) met en ligne des "Patent Landscapes"
Nous avons testé IPRally, l'outil qui veut révolutionner la recherche brevets avec de l'IA


A cette époque était apparue la nécessité de publications spécialisées dans la diffusion volontaire d’art antérieur. Cela dans le but de répondre au besoin d’inventeurs qui ne souhaitaient pas que leur invention soit brevetée par quelqu’un d’autre (pour différentes raisons que nous verrons plus loin) mais qui voulaient néanmoins pouvoir l’exploiter eux-mêmes, même en renonçant à l’exclusivité que confère un brevet (à condition qu’il soit solide).

Le but de ces publications dans des médias spécialisés était principalement qu’un concurrent et/ou un examinateur de brevet sache où chercher ces publications dites « défensives ».

On notera que les réflexions parfois très théoriques sur les publications défensives ont été à la mode il y a quelques années déjà. Cela explique les dates de publication parfois anciennes des articles et publications traitant de ce sujet. Mais cela n’empêche pas que ces réflexions restent d’actualités.

Aujourd’hui, les recherches d’antériorités brevets ne se limitent pas uniquement à ces publications et vont bien au-delà pour deux raisons :

  1. L’apport des banques de données brevets, mais aussi de littérature scientifique qui permettent beaucoup plus facilement de trouver de l’art antérieur, s’il existe, même, comme c’est la majorité des cas, si l’inventeur n’avait pas souhaité faire une publication défensive en tant que telle.
  2. Le développement très rapide du nombre de publications tant de brevets que de littérature scientifique.

Il n’en reste pas moins que des publications défensives existent toujours, sont toujours publiées et que leurs archives sont disponibles. Il ne faut donc pas négliger la piste de ces publications lors de toute recherche d’antériorité brevet.

Dans cet article, nous nous intéresserons tout d’abord aux cas où il faut établir une publication défensive et nous verrons ensuite quelles publications existent encore aujourd’hui et comment y accéder.

Dans quels cas établir une publication défensive ?

On peut identifier plusieurs situations dans lesquelles le recours par un inventeur à une publication défensive est une bonne stratégie :

  • Lorsqu’il risque d’être difficile d’obtenir un brevet sur cette technologie, soit parce qu’il existe déjà des technologies brevetées très proches, soit qu’il s’agit d’un domaine dans lequel la question de la brevetabilité se pose (par exemple une simple idée n'est pas brevetable) ;
  • Lorsque l’invention est déjà bien protégée par plusieurs brevets solides et que le dépôt d’un nouveau brevet n’apporterait rien ou pas grand-chose de plus ;
  • Lorsque les frais de dépôts, de maintien et, éventuellement, de litige peuvent devenir très élevés et que breveter cette invention risque de ne pas être rentable ;
  • Lorsque l’on souhaite récompenser ou valoriser le travail d’un inventeur sans pour autant déposer un brevet ;
  • Lorsque l’invention se situe dans un secteur à évolution très rapide, la publication défensive est préférable au dépôt d’un brevet qui ne protégera et/ou ne rapportera que pendant une durée très courte ;
  • Lorsque l’invention est destinée à un usage public ;
  • Lorsque l’on souhaite diffuser le plus vite possible une publication défensive ce qui peut être fait en quelques heures dans certains cas alors qu’une publication revue par les pairs n’est, en général, disponible qu’après quelques mois.

D’après une étude de l’Université de Munich, environ 70 % des firmes interrogées utilisent les publications défensives au moins de temps en temps. La part de leurs inventions divulguées de cette manière va de 1 à 30 %. (Industrie Technique et Management, avril 2009)

Si l’expression « publication défensive » fait référence à l’univers des brevets, il s’agit en fait tout simplement de rendre une information publique et de très nombreux moyens peuvent aujourd’hui être utilisés pour cela.

Il y a d’abord les services commerciaux dédiés à ces publications défensives, services sur lesquels nous reviendrons.

Mais on peut aussi :

  • Donner une conférence ;
  • Publier un article dans un journal spécialisé (car souvent la presse plus généraliste ne permet pas de faire des descriptions techniques suffisamment précises) ;
  • Déposer une demande de brevet et l’abandonner ensuite, sachant que cette demande ne sera publiée que 18 mois plus tard. A ce propos, Guellec et al 2012 (cf. référence 1) estiment que 2 % des brevets sont déposés uniquement pour créer un art antérieur et ne sont jamais délivrés ;
  • Par ailleurs, les sites internet, au moins certains, peuvent contenir des informations considérées comme des antériorités. On a déjà pu voir que c’était le cas pour des informations présentes sur un site de presse et sur archive.org. Il a juste fallu des années pour en arriver là (voir Bases n° 318, septembre 2014).

Notons qu’on n’utilisera pas les mêmes moyens de publication selon que l’on veut la rendre ou non très visible.


Si l’on choisit la discrétion : on choisira de publier dans une revue réellement diffusée, mais pas trop et concernant un domaine pas trop proche. Un concurrent peut alors déposer un brevet en toute bonne foi et se voir opposer la publication défensive au moins à l’occasion de la publication du brevet ce qui ne manquera pas de perturber sa stratégie et de lui faire perdre de l’argent.

Toutes les situations évoquées plus haut peuvent être considérées comme simples, mais en cherchant dans la littérature nous avons découvert des situations plus complexes parfois illustrées d’un appareillage mathémati­que sophistiqué (cf. références 2 et 3).

Exemple : 
C’est le cas, par exemple pour deux entreprises en concurrence. Une publication défensive par l’entreprise la moins avancée oblige celle qui allait déposer un brevet à l’améliorer pour qu’il y ait un écart suffisant avec l’état de l’art initial. Cela permet ainsi à la première de la rattraper et la dépasser ou, tout simplement, l’empêcher de déposer son brevet. 

Une grande entreprise comme IBM a aussi utilisé les publications défensives en publiant de 1958 à 1998 l’IBM Technical Disclosure Bulletin dont les articles ont été cités plus de 48 000 fois dans des brevets publiés aux États--Unis et même parfois (un brevet sur six) dans des brevets déposés par IBM même.. Ce bulletin a cessé de paraitre, mais les archives sont disponibles dans World Patents Index. Par ailleurs, IBM continue à publier des rapports de recherche qui peuvent être utilisés en tant que publication défensive..

Les publications défensives en tant que telles

Nous allons maintenant nous intéresser aux publications défensives traditionnelles dans l’univers des brevets. Quelles sont les publications que l’on peut encore trouver aujourd’hui et par quels moyens y accéder ?

Research Disclosure

La publication la plus connue est Research Disclosure. Elle a été créée en 1960 par Kenneth Mason Publication (Irlande) et rachetée par Questel en 2011.

  • Elle offre près de 50 000 documents depuis 1960 ce qui est à la fois beaucoup et peu si l’on compare au volume des demandes ou des publications de brevets.
  • Research Disclosure publie environ 900 documents par an.
  • Cette banque de données est l’équivalent de la publication mensuelle du même nom.

Elle présente une série d’avantages. Le premier est qu’elle fait partie du « minimum PCT » , c’est-à-dire ce que les examinateurs des Offices de brevet sont tenus de consulter dans le cadre de la préparation de leur rapport de recherche.

De plus, de nombreux services Propriété Industrielle d’entreprises la consultent aussi.

Par ailleurs, une publication dans Research Disclosure donne une date certaine à la publication et peut être anonyme, si on le souhaite, ce qui permet d’éviter de faire connaître ses axes de recherche.

Publier dans cette revue est donc l’un des moyens les plus efficaces et les moins coûteux pour que son invention soit facilement prise en compte comme antériorité dans le monde des brevets.

Il est d’ailleurs fréquent de voir des données de Research Disclosure présentes dans les citations d’un rapport de recherche d’un examinateur.

D’après Questel, plus de 13 % des documents de Research Disclosure ont été cités au moins une fois par un examinateur de brevet. Par ailleurs, toujours d’après Questel, une publication de Research Disclosure a été citée dans les rapports de recherche de 10 brevets dont à quatre reprises en catégorie « X » (C’est-à-dire que « L’invention revendiquée ne peut être considérée comme nouvelle ou comme impliquant une activité inventive par rapport au document considéré isolément » - source : OMPI)..

Questel permet d’accéder au contenu de Research Disclosure de trois façons :

  1. se connecter au site en Irlande,
  2. utiliser QWEB puis la commande …BA RDISC,
  3. dans Orbit Intelligence regarder les résultats dans la catégorie « Littérature non-brevet » et la sous-catégorie « Defensive publications », mais on n’a pas les images.

En revanche, contrairement à ce que l’on aurait pu penser, ces publications défensives ne sont pas intégrées à la partie brevet d’Orbit Intelligence, car d’après Felix Cowell de Research Disclosure, s’il s’agit bien d’informations étroitement liées aux brevets par leur nature, ce ne sont pas des brevets donc les documents n’ont pas les mêmes champs et ne signifient pas la même chose en matière de liberté d’opérer ou d’intelligence économique.

D’autres producteurs de banques de données de brevets ne sont pas de cet avis puisqu’ils ont intégré les informations de Research Disclosure dans leur base en adaptant l’indexation.

  • C’est le cas, par exemple de World Patents Index (DWPI) qui, outre les données de 59 offices de brevets, intègre aussi deux publications défensives que sont Research Disclosure depuis le 10 janvier 1978 (RD/PC) 
  • International Technology Disclosure (TP/PC) pour la période janvier 1984 à décembre 1993. DWPI est accessible sur Clarivate Analytics, STN et QWeb.

On notera que depuis le récent rechargement de la base RDISCLOSURE sur STN, la recherche sur les valeurs de 59 propriétés physiques ou chimiques est disponible.

  • On trouve également des éléments de Research Disclosure dans CAPLUS pour la période 1976 à 2006 (RD/PC)
  • Ainsi que dans les banques de données PIRA, Compendex, ENCOMPPAT, DGENE, BIOTECH et CASREACT pour des périodes variables et, bien sûr, limités à leurs domaines techniques respectifs.
  • Sur Dialog aussi, des banques de données de littérature scientifique et technique proposent des références de Research Disclosure, essentiellement Compendex, FSTA et PIRA.

IP Prior Art

L’une des plus connues, outre Research Disclosure, est IP.com qui se présente comme la plus large (cf. Figure 1. Interface d’IP Prior Art).

En fait, IP.Com est maintenant le nom d’une société qui propose différents services liés à la propriété industrielle.

Parmi eux, figure le service « prior art » accessible directement à l’adresse : https://priorart.ip.com/index.html

pdefensive piority art

Figure 1. Interface d’IP Prior Art

  • La recherche est gratuite et l’on peut utiliser les opérateurs booléens et de proximité ainsi que les troncatures.
  • La visualisation de l’abstract ou d’extraits est gratuite, mais le document complet est facturé 40 $ payables par carte de crédit.
  • La société a été créée en 2000, mais avec des documents publiés antérieurement, en particulier par IBM.
  • Les documents relatifs à la chimie issus d’ip.com sont présents dans Chemical Abstracts depuis 2001, identifiables par le code IP/PC.

D’autres sources qui ont cessé leurs publications : SIR et International Technology Disclosures

Une autre source de prior art baptisée « Statutory invention registration » (SIR) est disponible sur le site de l’USPTO. Elle a existé de 1999 à 2013 date du changement de la loi américaine sur les brevets.

Elles sont disponibles dans Chemical Abstracts et DWPI lorsqu’elles concernent la chimie.

D’autre part, la publication « International Technology Disclosures » qui a cessé sa publication en 1993 est incluse depuis 1984 dans DWPI.

Pour conclure, on peut dire que les publications défensives dans l’univers des brevets sont à prendre en compte même s’il y a d’autres façons de mettre les informations concernant une invention à disposition du public (conférence, article de presse spécialisée, etc.). Mais la caractéristique de la publication défensive au sens où on l’entend ici est d’être écrite dans un langage très proche du langage utilisé dans la rédaction d’un brevet.


Références

1. GUELLEC et al 212, Pre-emptive patenting: securing market exclusion and freedom of operation. Econ. Innov. New TECHNOL. 21 (1) 1-29

2. Scott BAKER et al Disclosure and investment as strategies in the patent race Working paper de l’Université de Caroline du Nord, Department of economics

3. Talia BAR, Defensive publications in an R&D race Journal of economics & management strategy vol. 15 n°1 Spring 2006, 229-254