Veille & Curation sur Twitter : quels sont les meilleurs outils ?

Fabrice Deprez
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2016.03
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Twitter | évaluation outils | curation | outils de veille
Veille & Curation sur Twitter : quels sont les meilleurs ... Image 1

A l’automne 2015, Twitter a ouvert au grand public son outil de curation de contenu appelé -sans grande originalité- Curator (qui n’a absolument rien à voir avec l’outil de curation français El Curator).

L’outil déjà accessible à une poignée de professionnels depuis mai 2015, a pour ambition de répondre à un besoin majeur des professionnels de l’information : la possibilité de mettre en place des requêtes complexes afin de pouvoir trouver l’information pertinente sur Twitter et de la diffuser ensuite.

Face à l’immense masse de données publiées chaque jour sur le réseau social, la recherche par hashtag montre en effet très vite ses limites, notamment lorsqu’il s’agit de réaliser une veille : difficulté de suivre plusieurs hashtags, danger d’être submergé lorsqu’un hashtag est massivement utilisé (d’autant que les hashtags populaires sont systématiquement « spammés » par des bots, c’est-à-dire des programmes utilisés pour publier automatiquement sur Twitter, les rendant très vite illisibles), risque de passer à côté de tweets pertinents mais n’utilisant pas le hashtag en question…

Le moteur de recherche proposé par Twitter, bien que relativement efficace pour une recherche ponctuelle, n’est absolument pas conçu pour une veille, même s’il est possible de contourner le problème (nous en parlerons par la suite). Curator se veut donc comme une réponse à ces limites, afin de permettre aux différents professionnels de l’information de pouvoir utiliser tout le potentiel du réseau social. Néanmoins, si Curator accomplit partiellement sa mission, il n’en possède pas moins plusieurs failles qui expliquent que, depuis sa sortie grand public en Octobre 2015, l’outil n’ait pas rencontré un succès majeur auprès des spécialistes de l’information. Il est donc important de noter quels sont les atouts mais aussi les défauts de cet outil, et les alternatives pouvant être employées.

Curator

Curator ne demande pas d’inscription pour être utilisé même s’il faut - bien entendu - un compte Twitter pour pouvoir s’en servir.

Le service est divisé en deux « étages » principaux : les projets, qui peuvent eux-mêmes être composés de plusieurs flux. Pour donner un exemple simple, le projet « Sport » pourra être composé des flux « Tennis », « Formule 1 » et « Golf », chaque flux disposant de sa requête de recherche spécifique. On peut s’étonner que, dans un outil pourtant ouvertement dédié aux professionnels, il faille sélectionner une option « recherche avancée » pour employer des opérateurs booléens, Twitter nous gratifiant alors d’un avertissement sur la complexité de la chose.

C’est d’ailleurs une caractéristique générale de l’outil créé par Twitter : Curator semble en permanence hésiter entre l’outil professionnel et l’outil grand public, cherche à la fois à offrir une importante puissance dans la recherche tout en restant facilement accessible. De fait, il parvient à se rendre utile dans plusieurs domaines sans jamais se révéler indispensable, ou offrir quoi que ce soit de vraiment nouveau (même dans le domaine des outils gratuits).

Ainsi, les requêtes de recherche permettent d’utiliser les opérateurs booléens de base (AND, OR, NOT), les guillemets ainsi que les parenthèses pour spécifier l’ordre des opérations, et offrent en plus une variété de filtres permettant d’affiner encore plus la recherche : sélection des tweets ayant au moins n retweets, ou des tweets publiés depuis un lieu précis, ou encore des tweets publiant une image ou un lien… Ces filtres sont au nombre de 21, un chiffre qui peut paraitre plus élevé que ce que TweetDeck (voir plus loin) offre en la matière : en réalité, les seuls filtres exclusifs à Curator posent quelque peu question : il en va ainsi du mystérieux filtre « influence », permettant de sélectionner des tweets à l’influence « faible », « moyenne » ou « élevée ».

S’il s’agit d’une possibilité très intéressante en théorie, l’absence complète d’information sur la manière dont Twitter définit l’influence rend son utilisation très risquée pour un professionnel : elle implique en effet de faire une confiance aveugle sur la manière dont le réseau social classe les tweets, au risque de passer à côté d’une information importante.

Au final, le système de requête de Curator n’est pas mauvais, mais ne fait rien qui ne soit déjà proposé par d’autres outils gratuits. Pour une veille, le découpage par projet manque aussi de visibilité.

Autre domaine où Curator offre des perspectives intéressantes sans vraiment aller jusqu’au bout : les statistiques. L’outil en présente ainsi quelque unes, principalement le volume de tweets et l’évolution de ce volume de tweets dans le temps, mais ne permet pas d’en faire grand-chose (il aurait été par exemple intéressant de pouvoir exporter ces données).

Mais l’erreur est peut-être de vouloir utiliser Curator comme un outil de veille alors que, comme son nom l’indique, il est avant tout destiné à la curation de contenu. On pourrait objecter qu’il est difficile de faire une bonne curation sans d’abord réaliser une veille efficace, mais le problème est de toute façon ailleurs : il réside dans le peu de possibilités offertes. Il est ainsi extrêmement simple, beaucoup plus que dans la majorité des outils gratuits, de créer une collection de tweets et de sélectionner ensuite les tweets que l’on désire intégrer à cette collection. Malheureusement, une fois cette collection de tweets formée, on ne peut réaliser que deux actions : soit l’exporter sous forme d’une « timeline » publique et accessible directement sur Twitter, soit sous une forme plus stylisée sur une page dédiée.

Le plus problématique est l’impossibilité de partager une timeline de manière privée : une telle option aurait ainsi pu permettre (par exemple) à un département de veille de partager avec les employés de l’entreprise les tweets les plus pertinents de la semaine concernant la société. Il aurait été aussi intéressant de pouvoir exporter une collection de tweets sous d’autres formats, afin de rendre leur utilisation plus malléable.

Ainsi, même dans le domaine de la curation, d’où l’outil tire pourtant son nom, Curator s’avère largement limité, pouvant tout au plus être employé pour quelques opérations ponctuelles visant à montrer au public une liste de tweets intéressants : la possibilité de réaliser un « mur de tweets » est ainsi clairement destinée à des opérations marketing, permettant d’afficher de manière agréable à l’œil une sélection de messages, par exemple des tweets donnant une vision positive de la société, ou une collection de tweets concernant un évènement bien précis (salon, séminaire, inauguration…).

Quant à la veille, Curator n’y brille pas sans pour autant être catastrophique, et on peut imaginer que certains s’y sentent plus à l’aise qu’avec d’autres outils. Notons enfin que Curator ne permet pas de poster de tweets, l’outil étant strictement dédié à l’observation et non à l’action.

TweetDeck & Hootsuite

Dans le cadre d’une veille sur Twitter, TweetDeck reste à l’heure actuelle l’outil gratuit le plus populaire.

Il n’est pas parfait, son principal problème étant une interface très consommatrice en ressources qui peut aboutir à de sérieux ralentissements.

Il offre néanmoins l’ensemble des possibilités de recherche offertes par Curator, le tout présenté dans une vue en colonnes qui rend son utilisation beaucoup plus pratique pour le veilleur professionnel : plutôt que d’ouvrir plusieurs onglets ou de se rendre sur chaque flux un par un, il est ainsi possible d’avoir sous les yeux l’ensemble de ses flux. TweetDeck offre de plus une plus grande variété dans le type de flux proposés : chaque colonne peut ainsi être une liste, une recherche spécifique, les tweets d’un utilisateur donné, des mentions, des « likes » et bien d’autres choses encore.

Au final, cette interface en colonne facilite énormément le suivi de différents sujets d’actualité : Hootsuite l’a d’ailleurs aussi adopté.

Hootsuite s’inspire du fonctionnement en colonne de TweetDeck, mais offre l’avantage de couvrir un grand nombre de réseaux sociaux, permettant en théorie au veilleur de concentrer l’ensemble de sa veille « sociale » à travers une seule interface. Contrairement à TweetDeck, il faut payer pour profiter de l’ensemble des fonctionnalités de l’outil, mais la version gratuite permet déjà d’intégrer 3 profils de réseaux sociaux, divisibles en une multitude de « flux » (équivalent des colonnes de TweetDeck).

Hootsuite permet aussi de faire des flux de recherche sur Twitter assez poussés (opérateurs booléens, nombre minimum de retweet, présence de liens…) mais contrairement à TweetDeck ou Curator, il faut directement entrer les bonnes commandes dans la barre de recherche. Hootsuite fournit néanmoins des indications sur ces dernières lorsqu’on l’on clique sur le bouton « montrer des exemples » : il faudra ainsi taper « min_retweets :10 » si l’on veut filtrer par le nombre de retweets (ici, 10 retweets minimum), tandis que les interfaces de Curator et TweetDeck offrent directement une option permettant de spécifier le nombre de retweets.

Pour la veille sur Twitter, TweetDeck et Hootsuite ont néanmoins des performances assez proches, et il est sans doute préférable de tester les deux pour choisir celui avec lequel on se sent le plus à l’aise. Aucun des deux ne règle néanmoins le problème inhérent à la veille sur Twitter : son caractère instantané, le fait que chaque tweet soit très vite remplacé par un autre, aboutissant à une situation où il est très facile de se retrouver noyé et de « perdre le fil », si l’on ne suit pas le réseau social en permanence.

La solution « artisanale » consiste à remonter une colonne à la main jusqu’à ce qu’on retombe sur un tweet déjà connu, méthode peu confortable et très risquée. La méthode la plus efficace revient à transformer les flux Twitter en flux RSS, afin de pouvoir les traiter dans un lecteur de flux RSS standard et pouvoir ainsi différencier ce qui a été lu de ce qui ne l’a pas été.

QueryFeed (queryfeed.net) est à ce titre un outil bien adapté, permettant de transformer en flux RSS le flux d’un utilisateur sur Twitter, d’une recherche, d’un hashtag ou encore d’une zone géographique. Il est même possible de transformer une liste en flux RSS, grâce à la commande « list : » suivi du nom du compte et du nom de la liste (exemple : « list:lemondefr/nos-journalistes). QueryFeed a néanmoins comme inconvénient, dans sa version gratuite, de ne mettre à jour le flux que toutes les 3 heures, et de n’afficher à chaque fois que les 10 derniers résultats : si le volume de tweets est important, cette solution ne sera donc pas suffisante.

Le lecteur de flux RSS Inoreader permet lui aussi de transformer des flux Twitter en flux RSS, de manière extrêmement simple : il suffit de copier/coller l’adresse du compte, de la liste (publique ou privée) ou de la recherche dans la barre de recherche d’Inoreader, et le lecteur créera automatiquement un flux.

Néanmoins, dans la version gratuite, on ne peut intégrer qu’un seul flux Twitter (jusqu’à 60 dans la version professionnelle à $5/mois). Pour une recherche, il faut taper la stratégie (incluant les opérateurs de recherche) soit dans la barre de recherche en haut à droite de la page d’accueil de Twitter, soit sur la page « https://twitter.com/search-home » (lorsqu’on effectue des recherches régulières, le plus simple est de mettre cette page en favoris) : il suffit ensuite de cliquer sur « recherche » et de copier/coller l’URL de la recherche dans Inoreader. Les flux sont mis à jour dans Inoreader environ toutes les heures, mais l’outil offre aussi la possibilité de « booster » des flux, qui seront alors mis à jour toutes les 10 minutes.

De manière opérationnelle, utiliser uniquement TweetDeck ou Hootsuite permet d’être plus réactif lorsque que la veille se fait sur un évènement très actuel, où la capacité de réaction compte plus que la collecte et la sauvegarde de l’information (situation de gestion de crise, notamment). L’utilisation de flux RSS permet d’intégrer Twitter au reste de sa veille, ce qui peut s’avérer beaucoup plus efficace pour une veille durable.

Et la curation ?

Un autre avantage de la conversion des flux Twitter en flux RSS, au-delà d’une meilleure visibilité lorsqu’il s’agit d’une veille à long terme, est de faciliter la curation des tweets en question : la plupart des lecteurs de flux RSS offrent en effet des possibilités d’export et de diffusion des « articles », permettant de réaliser assez simplement des livrables ou de les diffuser sur une grande variété de réseaux sociaux ou de pages web dédiées.

Une autre possibilité très simple à mettre en place lorsqu’il s’agit de diffuser des tweets à l’intérieur d’une société : créer un compte Twitter privé, accessible uniquement aux destinataires de la veille, et sur lequel celle-ci sera diffusée.

Il existe bien sûr des outils spécifiquement destinés à la curation de contenus sur Twitter. Le plus populaire d’entre eux est sans doute Storify (www.storify.com), dont une nouvelle version est sortie très récemment. A l’instar de Curator, il permet de créer des collections de tweets qui pourront ensuite être diffusés.

Storify offre néanmoins des possibilités de personnalisation beaucoup plus importantes, permettant notamment d’ajouter ses propres textes (ce qui peut être important pour « mettre en contexte » un tweet, ou lui ajouter un lien), d’ajouter des contenus issus d’autres réseaux sociaux (Instagram et Youtube notamment) ou encore de placer les contenus par ordre chronologique, ce qui peut être important si la curation de contenus se fait en direct (par exemple s’il s’agit de couvrir en direct un salon professionnel). La version payante permet à plusieurs personnes de travailler en même temps sur une collection.

Au final, Curator est un outil qui n’apporte pas de réelle valeur ajoutée par rapport aux acteurs déjà présents sur le marché comme Hootsuite ou Tweetdeck. Son principal avantage : le fait d’être un outil créé par Twitter lui-même et il est donc peu probable que Twitter restreigne les droits d’utilisations de son propre outil. En effet, depuis quelques mois, on a vu émerger une nouvelle tendance où les réseaux sociaux restreignent ou tout simplement suppriment les accès à leur contenu par des applications tierces. C’est notamment le cas de Facebook qui a restreint le contenu disponible via son API et qui ne permet plus que de surveiller des pages spécifiques (impossibilité de surveiller les résultats d’une recherche par exemple).

Aujourd’hui, nous aurions tendance à privilégier les autres outils présentés dans cet article mais il n’est pas impossible que Curator devienne indispensable dans les années à venir si les conditions d’utilisations de Twitter changent...