Les nouveaux dispositifs anti-fake news des GAFAM : un outil pour le veilleur ?

Clément Morin
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389
publié en
2021.02
1865
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Les nouveaux dispositifs anti-fake news des GAFAM : un ... Image 1

Depuis quelques années, difficile d’échapper au phénomène des « fake news ». A tel point que la question se pose de savoir si tous les secteurs sont effectivement concernés et dans quelle mesure cette désinformation peut affecter les professionnels de l’information.

Les récents ajouts de fonctionnalités et initiatives de la part des GAFAM et de Twitter, pour modérer la prolifération des fake news, révèlent que leur large diffusion a passé un seuil critique : d’une part les fake news peuvent affecter la réalité, le cours de l’Histoire, comme en témoigne les récents événements lors de la campagne présidentielle outre-Atlantique et, d’autre part, les réseaux sociaux et géants d’Internet sont tenus responsables dans leur diffusion, par un laisser-faire manifeste, parfois assumé.

Dans cet article, nous reviendrons tout d’abord sur le concept de fake news et l’impact de ces nouvelles sur la pratique quotidienne des professionnels de l’information. Nous regarderons ensuite dans le détail les nouveautés des GAFAM concernant la lutte contre la désinformation pour voir si elles peuvent avoir une utilité dans un contexte de veille et de recherche professionnelle.

Le contexte des fake news

Les fake news recouvrent des réalités différentes, que les professionnels de l’information sont susceptibles de rencontrer et ont intérêt à reconnaître.

Par information, nous entendrons ici des articles de presse, des articles scientifiques et des données business. Les fake news peuvent donc être soit de la fausse information (misinformation en anglais), soit de la désinformation (disinformation).

A l’origine des fake news peuvent se trouver plusieurs intentions : la recherche du profit, à l’instar des sites internet Macédoniens révélés en 2016 et spécialisés dans les fake news pour en tirer des bénéfices publicitaireshttps://www.bbc.com/future/article/20190528-iwas-a-macedonian-fake-news-writer, la volonté d’induire un ennemi en erreur, particulièrement dans le cadre des relations interétatiques (voir par exemple l’opération Fortitude lors de la Seconde Guerre Mondiale) ou entre entreprises, ou l’intention d’orienter l’opinion publique dans le cadre d’un débat public, ainsi des Tweets du précédent Président des Etats-Unis d’Amérique.

Une fake news vise donc à orienter la réalité, en corrompant le jugement, et par là les actions des acteurs visés.

Pour savoir plus précisément à quoi on a affaire et être plus alerte face à une (éventuelle) fake news, nous vous proposons la typologie suivante, dressée par Claire Wardle sur la page First Drafthttps://firstdraftnews.org/latest/fake-news-complicated/ :

  •  La parodie ou la satire, suffisamment élaborée pour être crue, mais assez clairement humoristique pour être comprise par son public ;
  •  La mauvaise contextualisation, volontaire ou non, ou la manipulation d’un contenu véridique dans le but de générer une interprétation biaisée ;
  •  L’imposture, lorsque la fake news prétend provenir d’une source établie et fiable ;
  •  L’incohérence entre le titre et le contenu, ou entre l’image et le contenu ;
  •  La création pure et simple de contenu à visée malhonnête.

Enfin, et surtout, la fake news prend racine dans la quasi-impossibilité de s’assurer de l’exactitude de ce qui est relayé et de confronter des faits. L’habitude de croire ce que nous ne pouvons facilement vérifier par nous-mêmes, d’où l’existence et le rôle des médias d’informations désormais dits mainstream (classiques, traditionnels, ou « dans le rang », pour traduire la connotation péjorative en anglais), est le fonds de commerce des fake news. En dépit des prétentions de vérification et de la démarche d’information menée par les plus méfiants, il n’en reste pas moins qu’il s’agit d’une question de confiance dans des sources externes.

Le cœur du problème est là : on ne peut passer son temps à vérifier la fiabilité de chaque information rencontrée au cours de la journée. Du fait du temps limité, il peut se révéler profitable d’avoir à l’esprit quelques façons d’aborder les informations d’apparence douteuse.

Les fake news polluent-elles vraiment l’environnement de travail des professionnels de l’info ?

Si les “fake news” ont pris une ampleur considérable en quelques années, la désinformation ne se retrouve pas dans toutes les strates informationnelles et il ne faut pas se mettre à douter de tout.

Des secteurs plus touchés que d’autres

Notre expérience montre que cela dépend du secteur d’activité d’abord, puis du sujet. Ainsi, il est moins probable de rencontrer des infox dans les industries manufacturières, par exemple dans le luxe que dans la sphère politique.

Si l’industrie du luxe est relativement peu visée par les fake news, ses figures emblématiques, comme les dirigeants de société et les égéries, peuvent l’être. De fait, un professionnel de l’information surveillant les sorties de produits des entreprises du luxe sera peu amené à gérer des fake news, mais un autre professionnel établissant une veille sur des dirigeants pris dans une affaire judiciaire devra sans doute se méfier de certaines sources et informations. Bien sûr, le marketing et les méthodes de communication peuvent, volontairement ou non, altérer et orienter la compréhension d’une information, par exemple les sujets concernant la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, comme le greenwashing, expression recouvrant les discours sans fondements en actes vantant les mérites écologiques des entreprises. La limite est floue et ténue entre fake news et marketing peu scrupuleux.

Les réseaux sociaux, des sources d’informations plus exposées

Le véritable enjeu est de mesurer le potentiel effet de la désinformation sur les professionnels de l’information. Il semble que les fake news ont avant tout pour terrain privilégié les réseaux sociaux. De même que la confrontation aux fake news dépend des secteurs et des sujets, elle dépend également des moyens mis en œuvre par le professionnel de l’information pour effectuer ses recherches : recourir à des sites spécialisés, bases de données, grandes revues scientifiques ou encore agrégateurs de presse, minimise largement le risque de se retrouver à traiter des fake news.

Ce qui n’empêche pas que nous pouvons rencontrer des informations fausses ou partiellement fausses, lors de l’exécution de veilles ou de recherches d’information. Une attitude alerte lors de la collecte, grâce à des réflexes de lecture, peut faire gagner un temps précieux. Pour une information donnée, un article sur Internet par exemple, il peut être bon d’être attentif à ces éléments :

  •  Lorsque la source semble amateure et/ou propose du contenu avec des titres provocants ou racoleurs ;
  •  Lorsque la source est la seule à mentionner une information. Il peut s’agir d’une exclusivité, auquel cas, des reprises paraitront probablement dans les jours suivants. Si ce n’est pas le cas, on peut douter de la fiabilité de l’information.

Dans le cas d’une information sur Twitter ou donnée par un pair, on peut évaluer la fiabilité de l’information à l’aune de la confiance accordée à la personne.

Des biais cognitifs à déjouer

Dans tous les cas, être conscient de ses propres biais cognitifs est utile : par économie d’énergie, le cerveau humain apprécie l’heuristique, le fait d’effectuer des raccourcis avec des informations incomplètes. De même, la répétition d’un même message lui donnera plus de crédibilité et sera mieux mémorisé (ainsi des affiches publicitaires identiques tout le long d’un quai de métro). Lors d’une démarche de recherche d’information fiable et vérifiée, il faudra se méfier des biais de confirmation, qui nous poussent à chercher les réponses que l’on attend déjà. Les moteurs de recherche, à travers le phénomène dit de la « chambre d’écho » orientent d’ailleurs les résultats proposés en fonction des croyances de la personne effectuant une requête, du fait de certaines habitudes de recherche et de la formulation des requêtes.

La surcharge informationnelle à filtrer

Enfin, l’infobésité provoque une fatigue et un nivellement de la considération accordée à chaque information : nous traiterons une information d’une source établie avec le même degré de méfiance qu’une information issue d’une source inconnue, en suivant l’analyse du CNRS.

Les nouveaux outils pour se prémunir des fake news - ou au moins les détecter et les traiter comme telles

Les initiatives des GAFAM en matière de fake news

Si quelques fonctionnalités et pro­grammes de modération et de surveillance avaient été testées avant 2020, la crise sanitaire et l’ampleur de la désinformation, tant issue des Etats que de particuliers, a révélé la nécessité de tels systèmes de modération. Les GAFAM et Twitter ont donc commencé à réintroduire des programmes de modération de contenu, particulièrement depuis la récente crise de la liberté d’expression, révélée par l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021 par des sympathisants de Donald Trump.

La nouvelle fonctionnalité de Google détaillant la source

Google va lancer une fonctionnalité permettant de rapidement appréhender la source d’un article avant même de cliquer sur le lien.

Ainsi, pour les sources que l’on ne connait pas, une option à droite du résultat met en exergue ce que dit Wikipédia de cette source. Bien sûr, cette fonctionnalité n’est intéressante que s’il y a assez de détails pour appréhender la source. Les sources n’ayant pas de page sur la célèbre encyclopédie sont détaillées par Google même, avec des informations telles que la date de première indexation, la sécurité de la page (avec un protocole HTTPS). La fonctionnalité est déjà disponible aux Etats-Unis, mais Google n’a pas encore communiqué sur son déploiement en Europe.

Pour le professionnel de l’information, c’est tout de même une fonctionnalité permettant de gagner du temps (dans une certaine mesure, à l’instar des Google snippets, pour des questions simples) pour vérifier la source.

Google fake news

Nouvelle fonctionnalité de Google pour en savoir plus sur  les sources d’information

Les actions de Twitter : le programme Birdwatch, la suspension de compte et la certification

Twitter, devant l’ampleur des critiques à son encontre, a introduit récemment un programme d’évaluation de la fiabilité des tweets. Fondé sur le volontariat, une façon de procéder appelée crowdsourced moderation, le programme propose aux utilisateurs de signaler les Tweets qu’ils jugent comme relevant de la sphère des fake news. Les utilisateurs sont invités à donner des précisions et à catégoriser la nature de l’information, selon la typologie que nous avons donnée plus haut. Le programme est encore en phase de test aux Etats-Unis.

Enfin, la certification des comptes Twitter, à savoir la petite étoile bleue à droite du nom du compte, fait son retour. Les conditions d’obtention de la certification intègrent des notions de discours haineux, de fil d’actualité (donc rediffusant des contenus d’autrui et ne les ayant pas vérifiés), ainsi que la notion de coordinated harmful activity, activité dommageable préméditée (donc les fake news au sens le plus péjoratif).

A noter que les réseaux sociaux ont peu intérêt à simplement supprimer les contenus traitant de sujets sensibles et erronés, car ces contenus (particulièrement les articles en ligne et les vidéos sur YouTube) génèrent davantage de revenus publicitaires, du fait de l’attraction plus importante que les contenus classiques.

Conclusion

Il ressort de nos recherches que la tendance est au contrôle a posteriori du contenu, plutôt qu’à la liberté d’expression à tout prix.

De fait, pour le professionnel de l’information, si le risque de prendre une fake news pour argent comptant est faible, du fait d’une filtration des sources en amont, d’une habitude d’un certain esprit critique, tant durant la formation que durant la pratique professionnelle, les nouvelles fonctionnalités et la tendance à la vérification de la fiabilité des informations peuvent lui faire gagner du temps. Il reste que l’esprit critique demeure la fondation sur laquelle s’appuyer devant toute information.